"On peut penser à une forme de bricolage", lâche Pierre Lemaire, devant les magistrats d'Angers, qui jugent cinq prévenus pour homicides et blessures involontaires.
L'ingénieur conseil, expert agréé par la cour de Cassation, résume d'un mot l'"environnement général" des travaux réalisés en 1997-1998 sur la résidence Le Surcouf : "médiocre".
A la demande des juges d'instruction, M. Lemaire et son confrère Gérard Caussé-Giovancarli ont réalisé l'expertise principale sur l'effondrement de ce balcon, lors d'une pendaison de crémaillère, le 15 octobre 2016.
Le béton, à la porosité "très élevée", a ainsi été "mouillé", c'est-à-dire qu'"il y a eu des ajouts d'eau au moment du moulage pour faciliter sa mise en oeuvre", ont expliqué les experts. "Toutes les entreprises savent très bien qu'on n'a pas le droit de le faire", a souligné M. Lemaire.
De mauvaise qualité, "pas correctement vibré", ce béton contenait également "de nombreuses bulles d'air".
Les aciers, qui ont "un rôle prépondérant dans la stabilité de la dalle", étaient en outre "très mal positionnés" car "beaucoup trop bas", ont aussi souligné les ingénieurs conseils.
Enfin, la reprise de bétonnage entre le bâtiment et le balcon a été mal réalisée. Or, "la reprise de bétonnage joue un rôle essentiel dans ce genre d'accident", a noté M. Caussé-Giovancarli, qui avait rencontré une situation similaire après la chute du balcon du député-maire d'Issy-les-Moulineaux André Santini (UDF), en janvier 2007. Le balcon en avait à l'époque entraîné six autres dans sa chute, sans faire de victimes.
"Aciers rouillés et dégradés"
A Angers, la surface était "lisse au niveau du collage", alors qu'elle aurait dû être en biseau avec des aspérités pour permettre une meilleure adhérence. Au fil des ans, une fissure s'est ouverte, laissant l'eau s'infiltrer et les aciers s'oxyder.
"Les aciers étaient plus que rouillés, ils étaient dégradés dans leur masse", a souligné M. Lemaire. Du fait de cette "corrosion progressive", "le balcon serait tombé tout seul, quelques années plus tard", a-t-il ajouté.
"Un jour ou l'autre, sous son propre poids, la dalle de béton risquait de tomber", a confirmé M. Causse-Giovancarli.
Pour couronner le tout, les travaux ont été menés sans respecter les plans de l'ingénieur béton, qui avaient été conçus pour des balcons préfabriqués et non pour des balcons coulés sur place. Si ces plans avaient été suivis, le balcon aurait pu supporter 35 personnes, soit près de deux fois le nombre de victimes le soir du drame.
"Dès le début de la construction de l'immeuble, on a donc décidé de mettre les plans à la benne ?", a interrogé Me Louis-René Penneau, avocat des parties civiles.
"Quasiment au début du chantier", a confirmé M. Causse-Giovancarli. "Pendant des mois, les aciers étaient au vu de tout le monde, ça aurait dû attirer l'oeil" sur ce changement de mode de construction, a-t-il en outre pointé.
D'autant que le cabinet de l'architecte Frédéric Rolland, 66 ans, "avait une mission complète de maîtrise d'oeuvre", comprenant la direction des travaux et lui demandant de "viser les plans d'exécution de l'entreprise", a souligné l'expert.
A l'ouverture du procès, M. Rolland s'était présenté comme un "homme de l'art", tourné "exclusivement sur la recherche de la création d'un concept".
"A aucun moment je ne fais de calcul de dalles et de ferraillage", avait-il assuré.
Le procès doit se terminer le 4 mars.