"J'en peux plus...Ca fait presque un an, imagine...Il n'y a rien de nouveau, ni travaux ni proposition, il n'y a rien qui bouge", s'exaspère Faten, jeune femme dont l'immeuble, proche de la préfecture, a été évacué fin novembre suite à un arrêté de péril faisant notamment état d'"infiltrations importantes".
Quelques semaines plus tôt, le 5 novembre 2018, dans le quartier Noailles, poumon populaire à deux pas du Vieux Port, deux bâtiments de la rue d'Aubagne s'effondraient causant la mort de huit personnes. Ce drame avait déclenché l'évacuation en urgence de plusieurs centaines de logements et mis au jour le problème de l'habitat insalubre dans la cité phocéenne.
Au total, 2.528 personnes ont été évacuées et quelque 700 personnes sont toujours prises en charge et hébergées par la Ville, selon le dernier recensement de la municipalité. Les autres ont trouvé une solution de relogement ou réintégré leur appartement.
Faten qui est toujours dans l'attente d'une solution pérenne vit avec ses trois enfants dans une chambre d'hôtel. "J'ai un petit de 20 mois, il n'arrive plus à dormir. Et l'autre, 5 ans, est asthmatique. Comment on va faire ? Ils sont pas bien", confie-t-elle. Emue, elle raconte un quotidien devenu "trop fatiguant".
Après "l'état de sidération" lié aux départs souvent précipités, "plus le temps passe, plus les effets du traumatisme se font ressentir: les gens sont dans une perte de repères totale, ils sont dans des états de procrastination, avec parfois un état dépressif ou une perte de sommeil", explique Pierre Legendarme, psychologue et président de l'association Santé sans frontière qui propose des consultations aux délogés.
"Quand on n'est pas chez soi, qu'on est dans un hôtel, qu'on ne sait pas si on va pouvoir rentrer, on est dans un état épouvantable. On n'a plus ses habitudes, on n'a plus ses repères", témoigne Jean, 57 ans, qui a réintégré son logement, rue d'Aubagne, après cinq semaines sans pouvoir y mettre les pieds.
Quitter son lieu de vie, dans l'urgence et sans visibilité, peut provoquer chez les personnes évacuées "un effondrement psychologique", en particulier chez les enfants, "extrêmement éprouvés" et en proie à des "douleurs muettes", assure M. Legendarme, qui précise que les voisins peuvent être impactés indirectement.
Adapter l'accompagnement
Devant les portes de l'Espace d'accueil des personnes évacuées, Gloria Kahloul, 59 ans, elle aussi délogée, pose à ses pieds le sac de courses dans lequel elle transporte sa liasse de documents administratifs.
"La santé n'est pas bien, je pense à beaucoup de choses. Je ne sais pas ce qu'il va se passer", souffle cette habitante, dont le mari est diabétique.
Après quatre mois à l'hôtel, elle a dormi "à droite, à gauche". Un logement provisoire vient de lui être proposé, en attendant mieux.
Aux yeux de Pierre Legendarme, les délogés doivent être "reconnus comme victimes" au titre des préjudices matériel et moral, car le traumatisme de l'évacuation, ajouté au périple administratif, "peut rendre fou".
De son côté, la Ville assure qu'un "suivi psychologique, social, juridique et sanitaire a été proposé". Une prise en charge insuffisante aux yeux des collectifs de bénévoles toujours investis sur le terrain.
Une cellule d'urgence médico-psychologique avait été activée par le SAMU après le drame rue d'Aubagne. Depuis le 1er mars, elle a été remplacée par un dispositif plus adapté pour répondre à "une situation inédite" par sa durée et le nombre de personnes touchées, indique l'Agence régionale de santé des Bouches-du-Rhône.
Des professionnels de santé - psychiatres, psychologues, infirmiers - se déplacent jusqu'au domicile provisoire des délogés pour voir s'ils ont besoin d'un accompagnement.
"L'objectif est s'assurer que les gens prennent en compte le volet psychologique de ce qu'ils viennent de vivre ou ce qu'ils sont encore en train de vivre", explique Anne-Laure Vautier, déléguée départementale adjointe à l'ARS.