Quelque 55 jours après l'incendie, entre 60 et 150 ouvriers les plus divers s'affairent sur le chantier selon les urgences des jours: ils continuent d'évacuer les gravats et de stabiliser au fur et à mesure.
Mais "l'urgence impérieuse" n'est pas levée. "La voûte pourrait très bien s'effondrer", avertit l'architecte en chef Philippe Villeneuve dans une interview au Figaro, en saluant "l'élan incroyable" des corps de métiers impliqués, qui rappelle, dit-il, "l'esprit de compagnonnage" des bâtisseurs.
Quant aux cinq ans fixés par le chef de l'Etat pour la restauration, un distinguo est désormais introduit : "si on travaille avec méthode, c'est tout à fait faisable de redresser Notre-Dame en cinq ans. Mais il faudra continuer à restaurer le reste de la cathédrale, dont la sacristie, le chevet, les transepts nord et sud ou les roses. Une dynamique de travaux qui durera bien au delà des cinq ans", prédit l'architecte.
"On n'est pas à calculer à un jour près", admet le ministre de la Culture Franck Riester. "Il restera des choses à faire, c'est probable", juge l'architecte Jean Nouvel.
Au Parlement, l'adoption du projet Notre-Dame, que le gouvernement voulait rapide, achoppe, attestant de l'agacement à droite comme à gauche devant la gestion "jupitérienne" du dossier par le président de la République. La loi ne devrait pas être adoptée avant fin juillet.
Une commission mixte paritaire a vite échoué à rapprocher les deux chambres: refusant toute précipitation, la majorité de droite du Sénat avait voulu en vain gommer le volet d'exception qui stipulait notamment, pour gagner du temps, de déroger à certaines règles (urbanisme, environnement, construction, patrimoine).
Emoi et colère
Le débat de fond qui fait furie tourne surtout autour de la "reconstruction inventive" suggérée pour la flèche. Le président Macron se voit reprocher de vouloir imposer sa marque comme François Mitterrand avec la Pyramide du Louvre.
Alors que Franck Riester se félicite d'"un beau débat patrimonial", les défenseurs de la reconstruction à l'identique sont partagés entre émoi et colère. Une majorité des Français, que le gouvernement a promis de consulter, les soutiennent, selon des sondages.
Une flèche en verre, un faisceau de lumière, un jardin paysagé, et autres innovations présentées lors du futur concours international d'architectes se heurteraient à une levée de boucliers, jugées contraires à l'identité du monument.
C'est d'abord Philippe Villeneuve, qui demande la reconstruction à l'identique, critiquant implicitement le gouvernement: "la grande force du chef d'oeuvre d'Eugène Viollet-Le-Duc (1814-1879) est qu'il n'était pas datable. Il s'intégrait à un chef d'oeuvre médiéval du XIIIe siècle. C'est cela qu'il faut retrouver".
Il y a aussi Stéphane Bern, de nombreux architectes, des associations du patrimoine, des responsables de l'Eglise catholique, des historiens...
"Il faut nous battre jusqu'à la dernière gargouille (...). Pourquoi le XIXe siècle serait-il un moins grand siècle que le XIIe et le XIIIe", s'insurge l'historien de l'art Adrien Goetz.
Sur Europe 1, Jean Nouvel invite à la prudence dans la rénovation: "Il faut être plus gothique que jamais" pour Notre-Dame.
"Restaurer à l'identique est l'option la plus simple, rapide et la moins coûteuse, voilà pourquoi M. Macron pourrait renoncer au concours d'architecture", analyse samedi dans Le Monde l'un des rédacteurs en chef du journal, Michel Guerrin.
Nombre de questions restent irrésolues, dont celle de la cause du sinistre, toujours sous le coup d'une enquête judiciaire : "le jour de l'incendie, il n'y avait pas de point chaud sur le chantier", affirme Philippe Villeneuve.
Mais également: combien de dons seront effectifs sur les quelque 850 millions d'euros de promesses, et seront-ils suffisants? Budgétiser les travaux tant que les choix n'ont pas été faits pour la charpente et pour la flèche reste encore impossible.