Dans ce château situé dans l'Aisne, à 85 km au nord-est de Paris, François Ier avait émis en 1539 l'ordonnance imposant le français comme langue de l'administration: un acte fondateur dans l'histoire de France.
Depuis un an, 250 ouvriers et artisans s'affairent derrière des bâches de plastique qui couvrent murs et toitures. Avec un financement public de 185 millions d'euros, c'est le deuxième chantier du patrimoine, après Notre-Dame de Paris. Surmonté de la deuxième grue la plus haute de France.
Cet été, à plein régime, ils seront 600 artisans de divers corps de métier à y travailler. La première tranche du chantier, avec la finalisation d'un parcours de visite racontant l'histoire de la langue française, doit être achevée au printemps 2022, l'ensemble un an plus tard.
Cette ancienne résidence royale gérée par le Centre des monuments nationaux (CMN) doit devenir un lieu à la fois de visites, de recherche, de formation, d'innovation...
En pleine forêt de Retz, dans ce Valois d'où est partie l'expansion du royaume de France, Villers-Cotterêts est à sa naissance au XVIe siècle une résidence appréciée des rois qui viennent y chasser et jouer au jeu de paume.
Molière, Corneille et Racine y joueront plusieurs de leurs pièces.
La famille d'Orléans qui a hérité du château va imposer ensuite ses rénovations architecturales au détriment de l'empreinte Renaissance d'origine.
Dépôt de mendicité
Après la Révolution, le château souffre profondément pendant deux siècles de plusieurs occupations: il sert de caserne, puis de dépôt de mendicité pendant 85 ans, puis d'hôpital militaire, de maison de retraite...
"Il nous faut retrouver l'enveloppe architecturale d'origine, en retirant tous les ajouts incongrus, restaurer un monument dans un état de dégradation avancé en un temps très contraint", souligne à l'AFP Xavier Bailly, administrateur du CMN.
Il désigne les plafonds ravagés par l'humidité, les bas reliefs avec des salamandres (emblème de François 1er) presque effacées.
"Comme les dents cariées, chaque pierre, chaque poutre, est examinée pour décider si elles seront retirées ou sauvées", explique-t-il.
Ici, une poutre est renforcée par un piton métallique et comblée avec de la résine. Là un chapiteau sculpté en calcaire provenant d'une carrière de la région attend d'être monté.
Les façades Renaissance et trois joyaux -escalier du roi, celui de la reine et chapelle- doivent retrouver toute leur splendeur.
Dans la chapelle, le plancher XVIIIe ajouté par le duc d'Orléans sera retiré pour dégager la voûte d'origine sur charpente lambrissée.
Pour le reste, les murs intérieurs ajoutés au fil des siècles sont abattus et l'espace est libéré pour des gestes architecturaux novateurs.
"Comme il reste peu du passé, cela permettra aux visiteurs d'évoluer dans des espaces contemporains", souligne Valérie Senghor, directrice générale adjointe du CMN.
Ce giga-projet, piloté par l'architecte en chef des monuments historiques Olivier Weets, doit réhabiliter 3.600 m2 de toitures, 280 fenêtres, 3.300 m2 de planchers.
Quand elle sera achevée en 2023, la "cité internationale de la langue française" offrira, outre le parcours de visite permanent ouvert dès 2022, des salles d'expositions, un auditorium, douze résidences d'artistes. Et un "ciel lexical": sur 600 m2 de verrière, où des mots seront inscrits, dont certains s'éclaireront la nuit.
Dans ce département en difficulté économique, Emmanuel Macron voudrait que Villers-Cotterêts devienne "un pôle d'innovation avec des start-ups travaillant sur la langue", indique-t-on à l'Elysée.
Pour sa réussite, des partenariats sont noués avec l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), des chaînes comme TV5 Monde et de nombreux autres acteurs francophones.
En choisissant Villers-Cotterêts, municipalité passée au Rassemblement national, Emmanuel Macron entend "poser un projet de reconquête républicaine" et "un acte de décentralisation", souligne-t-on à l'Elysée.