Dans une lettre envoyée aux principales organisations syndicales et patronales, dont l'AFP a obtenu copie, le Premier ministre propose une nouvelle mouture: un "compte de prévention" dont le nouveau nom officiel est amputé du terme de pénibilité, comme l'avait promis Emmanuel Macron durant la campagne.
Entré en vigueur par étapes depuis 2015, le compte pénibilité permet aux salariés du privé occupant un poste pénible de cumuler des points afin de partir plus tôt à la retraite, se former ou travailler à temps partiel sans perte de salaire.
Quoique rebaptisé, il sera maintenu tel quel pour six critères (travail de nuit, répétitif, en horaires alternants ou en milieu hyperbare, ainsi que le bruit et les températures extrêmes).
En revanche, pour quatre autres critères, les plus décriés par le patronat, qui les jugeait "inapplicables" au motif qu'ils sont difficilement mesurables, les règles sont modifiées: la manutention de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques, sortiront du compte à points.
Les employés exposés à ces risques-là pourront encore bénéficier d'un départ anticipé à la retraite, mais seulement quand "une maladie professionnelle a été reconnue" et quand "le taux d'incapacité permanente excède 10%", selon la lettre du Premier ministre.
Soit un critère proche, même s'il apparaît légèrement plus favorable, d'un dispositif déjà contenu dans la réforme des retraites de 2010.
"Une visite médicale de fin de carrière permettra à ces personnes de faire valoir leurs droits", selon le courrier.
Le travail est une douleur
A l'issue d'un "travail approfondi de réflexion", Édouard Philippe affiche son volontarisme sur ce dossier épineux: "Le gouvernement a analysé toutes les options et est décidé à prendre ses responsabilités", affirme-t-il dans cette lettre adressée aux cinq principales organisations syndicales, aux trois grandes organisations patronales, ainsi qu'à la FNSEA.
Fin mai, au début de la concertation sociale sur la délicate réforme du droit du travail, Édouard Philippe s'était fixé comme objectif de parvenir à "un dispositif plus simple" d'ici "la fin de l'année".
La nouvelle réforme, qui sera incluse comme prévu dans les ordonnances de cet été réformant le code du travail, "entrera en vigueur à compter de l'année 2018", précise le Premier ministre.
Dernière modification majeure de cette nouvelle mouture: le financement, cette fois pour tous les critères.
Les deux cotisations actuelles "seront supprimées" et "le financement des droits en matière de pénibilité sera organisé dans le cadre de la branche accidents du travail/maladies professionnelles" (AT/MP).
Cette branche, dans le vert depuis 2013, est la seule excédentaire de la Sécurité sociale, avec un surplus estimé à 900 millions d'euros pour cette année.
Sollicité par l'AFP à la suite de la divulgation de cette lettre, Matignon a précisé que cet excédent devrait permettre de financer la réforme, du moins "à court terme", sans augmenter les cotisations sociales.
Actuellement, le compte pénibilité est financé par deux taxes: une cotisation "de base" de 0,01% des rémunérations acquittée par toutes les entreprises et une seconde "additionnelle", fixée à 0,2% pour les employeurs ayant exposé au moins un de leurs salariés à la pénibilité au-delà des seuils (et 0,4% pour plusieurs critères).
En 2016, sur le format du compte à dix critères, quelque 797.000 personnes ont été déclarées par leurs employeurs dans cette situation de pénibilité - alors que la Caisse nationale d'assurance-vieillesse (Cnav) évoquait un potentiel de 2,6 à 3 millions de salariés -, selon des chiffres officiels non publiés.
Fin mars, devant le Medef, Emmanuel Macron, alors candidat, avait promis de retirer le mot de "pénibilité" du compte à points, disant ne pas "aimer le terme" parce qu'il "induit que le travail est une douleur".
Le MEDEF et la CPME approuvent la réforme
Dans un communiqué, le Medef estime que "le pragmatisme semble avoir prévalu".
Sur "le nouveau mode de financement annoncé", le Medef dit qu'il "restera très vigilant et ne comprendrait pas que les efforts (...) en matière de prévention par les entreprises ne soient pas pris en compte d'une façon ou d'une autre".
Enfin, il ajoute que "s'il ne peut que regretter les incompréhensions qui ont jalonnées, depuis sa conception, la mise en oeuvre du compte pénibilité, il fonde l'espoir, si la solution annoncée se concrétise rapidement et se traduit bien par une simplification et une disparition des coûts qu'elles supportaient, que les entreprises puissent dorénavant de façon sereine poursuivre dans la voie de la prévention pour nos salariés".
De son côté, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) explique aussi qu'elle "ne peut que se réjouir que le pragmatisme ait pris le pas sur le dogmatisme" mais note qu'il "conviendra de rester vigilant sur la mise en oeuvre opérationnelle de ces annonces".
La FFB salue un nouveau pas vers la simplification
L’annonce par le gouvernement d’une simplification du compte pénibilité est une nouvelle positive que les artisans et entrepreneurs du Bâtiment attendaient de longue date.
Après quatre ans d’atermoiements et de refus du changement, la FFB prend acte de la volonté de simplifier un dispositif dont elle a depuis l’origine dénoncé le caractère inapplicable, coûteux et contraire aux efforts de prévention mis en œuvre quotidiennement par les entreprises de toutes tailles.
Comme elle le demandait, la situation des salariés fera l’objet d’un examen médical pour les facteurs les plus difficiles à appréhender : port manuel de charges, postures pénibles, vibrations ainsi que pour les risques chimiques. S’il est regrettable que cette simplification ne concerne pas l’exposition au bruit, tout aussi difficile à évaluer sur un chantier, la FFB note que la question des risques chimiques fera l’objet d’une réflexion spécifique.
La simplification concerne également le financement du dispositif, ce qui, pour les entreprises, reste un réel point de vigilance.
Pour Jacques CHANUT, Président de la FFB, « réformer le compte pénibilité pour plus de simplicité est positif et pour les artisans et entrepreneurs du Bâtiment, un soulagement : celui d’avoir enfin été en partie entendus. Réformer de manière approfondie un dispositif d’une complexité et d’un coût exceptionnels était une absolue nécessité. Face à ce problème inextricable, que la FFB a dénoncé avec constance et fermeté, le bon sens et le pragmatisme semblent avoir prévalu. S’il n’a pas supprimé le compte, qui reste un dispositif de plus, le gouvernement veut avancer dans le bon sens. Désormais, reste à transformer l’essai en faisant prévaloir l’esprit de prévention. »
La CFDT regrette la suppression de l'une des cotisations patronales
Laurent Berger, le numéro un de la CFDT, a regretté sur francinfo dimanche que la réforme du compte pénibilité supprime la cotisation imposée aux employeurs qui exposent leurs salariés à des facteurs de risque.
Actuellement, le compte pénibilité est financé par deux taxes: une cotisation "de base" de 0,01% des rémunérations acquittée par toutes les entreprises et une seconde "additionnelle", fixée à 0,2% pour les employeurs ayant exposé au moins un de leurs salariés à la pénibilité au-delà des seuils (et 0,4% pour plusieurs critères).
La nouvelle mouture, annoncée samedi par le Premier ministre aux partenaires sociaux, prévoit la suppression de ce financement et son transfert à la branche de la sécurité sociale dédiée aux accidents du travail.
M. Berger a dit "regretter" la suppression de la taxe "additionnelle". "Je suis assez attaché au principe de pollueur payeur sur la question de pénibilité", a-t-il dit.
"Dans un certain nombre de secteurs où il y a des salariés particulièrement exposés, à des facteurs de pénibilité, c'est normal qu'il y ait une part de financement qui revienne à ces entreprises", a-t-il argumenté. Globalement, avec la réforme annoncée le compte pénibilité "n'est pas remis en cause", a-t-il jugé.
Il a qualifié de "cosmétique" le changement de nom de ce compte, qui va désormais s'appeler "compte de prévention". "Derrière tout ça, il y a beaucoup de communication", a tranché le leader de la CFDT, très attachée à cette mesure emblématique du précédent quinquennat, progressivement mise en place depuis 2015.
Il a mis en garde le gouvernement contre les "signaux négatifs" envoyés aux salariés, notamment avec cette réforme du compte pénibilité, mais aussi en revenant sur le tiers payant ou le jour de carence chez les fonctionnaires.
"Attention aux signaux envoyés depuis quelques jours par le gouvernement: la carence pour les fonctionnaires, la pénibilité (...) où on fait des arbitrages donnant le sentiment qu'on répondrait au patronat, le tiers payant qui suspendu", a-t-il cité.
"Attention aux signaux négatifs qui sont envoyés aux travailleurs ces jours-ci. Ca peut susciter beaucoup de désaccord et de colère", a prévenu M. Berger.