"Nous avons voulu que le visiteur pénètre dans une vraie maison du XVIIIe" et, pour cela, "on refuse le lifting, on accepte les rides, les cheveux blancs", explique le décorateur Joseph Achkar à l'AFP.
Avec son acolyte Michel Charrière, il a défendu un parti pris: retrouver la patine d'autrefois. A l'inverse de ce qui a été fait à Versailles notamment.
Le chantier confié en 2017 par le Centre des monuments nationaux (CMN) à l'architecte des Monuments Historiques Christophe Bottineau, s'achève avec la livraison, et l'ouverture en juin, d'un nouveau lieu d'exposition et de ballade, mêlant reconstitution du passé et gestes contemporains sur une place connue du monde entier.
Le projet a été pensé pour être ouvert sur la ville: les deux cours intérieures, avec restaurant, café, librairie, seront accessibles depuis la rue Royale ou la place.
Un tapis lumineux de faisceaux LED insérés dans le pavage accueillera de nuit le promeneur. De jour, une très belle verrière pyramidale conçue par l'architecte Hugh Dutton réfractera la lumière grâce à un jeu habile de miroirs dans l'une des cours.
"Approche poétique"
L'Hôtel de la Marine créé par Ange-Jacques Gabriel, premier architecte de Louis XV, avait abrité le garde-meuble de la Couronne, puis était devenu pendant près de 200 ans le siège de l'état-major de la Marine, qui a su le préserver.
Des parcours seront proposés dans les appartements XVIIIe de l'Intendant du garde-meuble et les salons d'apparat du XIXe siècle. Avec des explications fournies par casque connecté, surnommé "le confident".
Dans les salons, solennels et classiques, sont disposés des bornes miroirs présentant des épisodes de l'histoire de Paris, et des tables numériques racontant les épopées des grands explorateurs des mers.
Mais la visite acquiert une dimension plus intime et vivante dans les appartements XVIIIe. Cela répond à "l'approche poétique" voulue par les décorateurs.
Dans la salle à manger, la table ovale est reconstituée comme elle devait l'être à la fin d'un festin mondain: un verre est renversé, les serviettes froissées gisent près des assiettes, des huitres vides s'amoncellent, un gilet est posé sur une chaise. Dans un coin, une table de jeux avec des cartes.
Pour parvenir à un tel résultat, les inventaires d'époque ont aidé: les peintures ternies ont été retrouvées, parfois sous de nombreuses couches de peinture. Et les papiers peints neufs ont été patinés. A un endroit même, des fausses taches d'humidité ont été ajoutées. L'éclairage parcimonieux de l'époque a été reconstitué.
Collection Al Thani
Venus de différents musées, les meubles ont retrouvé leur place et ne sont pas restaurés flambants neufs. Les rideaux ont été commandés dans les manufactures qui avaient produits les originaux au XVIIIe.
A l'automne, le projet sera complété et enrichi, avec l'ouverture des galeries réservées à la Collection Al Thani, l'une des plus prestigieuses collections d'art privées au monde. Le CMN et la Fondation qatarie Al Thani avaient signé en 2018 un accord mettant à disposition pendant vingt ans un espace pour les collections de la famille qatarie, en échange d'une contrepartie de 20 millions d'euros.
"Tout ce chantier est une grande aventure patrimoniale, un défi à relever dans un lieu composite", reconnaît Philippe Bélaval, à la tête du CMN, soulignant que le projet (135 millions d'euros) est largement autofinancé, l'Etat apportant seulement six millions. Le mécénat a contribué pour 20 millions d'euros.
Un emprunt contracté par le CMN, souligne-t-il, sera remboursé par la location de 6.000 m² de bureaux.