Des terrains agricoles non aménagés divisés à la hâte pour accueillir des logements, des quartiers entiers sortis de terre sans autorisation et des villes confrontées à une forte tension immobilière.
La Libye est aujourd'hui "incapable de suivre le rythme" de son urbanisation galopante et anarchique, concède à l'AFP le ministre du Logement et de la Construction du gouvernement intérimaire, Aboubakr al-Ghawi.
A Benghazi (est), la superficie construite a doublé depuis 2009, passant de 32.000 à 64.000 hectares, selon le directeur du Bureau des projets de la ville, Oussama Al-Kazza. Et la moitié de la deuxième ville du pays a été construite "en dehors du schéma directeur", indique-t-il.
A 1.000 km à l'ouest, dans la capitale Tripoli, des quartiers entiers ont aussi vu le jour sans la moindre autorisation.
Alors que la Libye commence à retrouver un semblant de stabilité, le ministère du Logement s'apprête à accélérer l'achèvement de la "troisième phase des plans d'urbanisme, en collaboration avec des bureaux d'études locaux et internationaux pour revoir les schémas aléatoires élaborés ces dix dernières années", affirme M. al-Ghawi.
Le premier plan d'urbanisme a été adopté en 1966, le deuxième en 1980 et le dernier en 2009. Mais celui-ci n'a jamais été mis en oeuvre en raison du chaos et de l'instabilité.
"Maisons détruites"
A l'insu des autorités, des milliers d'hectares de terres agricoles en périphérie de Benghazi ont été divisés en parcelles de 500 mètres carrés, vendues pour abriter des logements, sans planification ni aménagement.
Les autorités locales peinent à contenir le phénomène et à réaménager les secteurs endommagés par la guerre, ce qui favorise la création de quartiers entiers non autorisés où se sont installées des familles déplacées depuis 2014.
Plusieurs faubourgs de la ville ont été entièrement détruits lors des violents combats menés ces dernières années pour en chasser les groupes jihadistes qui s'y sont retranchés après 2011.
Leurs habitants ont dû trouver des solutions dans l'urgence, pas toujours dans les règles, pour ne pas finir à la rue.
"Nous avons quitté nos maisons du centre-ville à cause de la guerre", confie Jallal al-Gotrani, un fonctionnaire de 48 ans qui a construit une maison dans un nouveau quartier de cette ville orientale, berceau de la révolte de 2011.
"A la fin des combats, nous avons découvert nos maisons détruites, inhabitables. Nous n'étions plus en mesure de payer le loyer, nous avons donc été obligés de construire une petite maison dans un secteur créé par des habitants de manière aléatoire, en l'absence d'un nouveau plan de l'Etat ou d'une aide pour réhabiliter les secteurs détruits", raconte-t-il.
A la rue
Selon M. al-Kazza, plus de 50.000 unités de logement échappent au plan général de la ville et ne répondent pas aux normes de planification en matière de routes, d'espaces verts, d'écoles ou de centres de santé, mais surtout de réseaux d'eau et d'égouts.
La Garde municipale s'efforce de contenir le phénomène. "Arrêtez la construction et contactez la direction" du plan urbain, peut-on lire en lettres rouges sur des clôtures de chantiers non autorisés à Benghazi.
Le chef du département de l'urbanisme, Abdulhakim Amer, appelle à passer outre la "bureaucratie administrative" pour contrecarrer cette urbanisation qui échappe à tout contrôle.
A Tripoli, les besoins en logement sont particulièrement criants. Les affrontements autour de la capitale l'an dernier et les violences sanglantes dans l'Est ont mis sous pression la plus grande ville du pays, qui a vu affluer des dizaines de milliers de familles affectées par la guerre, provoquant une crise du logement combinée à une flambée des prix.
Depuis quelques semaines, les autorités locales mènent une importante campagne contre les constructions sans permis qui ont poussé dans la capitale pendant la période de chaos post-révolte, notamment le long de la corniche où ont prospéré des dizaines de cafés, fast-foods et habitations.
Des dizaines de commerces mais aussi des logements non autorisés ont ainsi été rasés. Une reprise en main qui n'est pas sans conséquences pour les occupants, sommés de vider les lieux sans préavis et sans leur offrir d'alternatives.