Vingt ans après sa création, l'Anru fera l'objet en juin d'un rapport d'évaluation demandé par le gouvernement en prévision de l'arrêt, en 2030, de son programme phare de renouvellement urbain (NPNRU).
Ses auteurs devront réfléchir aux moyens d'améliorer la "mixité sociale et fonctionnelle" dans les quartiers prioritaires, leur adaptation au réchauffement climatique et l'adéquation de leur urbanisme avec les impératifs écologiques et la sécurité publique.
Si le "développement durable" était bien l'un des deux objectifs de l'Anru à sa création, "on a focalisé tous les débats pendant quinze ans sur la question de l'énergie dans la construction neuve, alors que le neuf représente moins de 1% par an du stock de bâtiments existants", a souligné jeudi l'architecte et urbaniste Franck Boutté, lors d'un colloque à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis).
M. Boutté a appelé à plutôt s'intéresser "aux bâtiments déjà existants, puisque 80% des bâtiments de 2050 sont déjà là".
De fait, les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) souffrent d'une "surexposition aux nuisances environnementales, en matière de pollution atmosphérique et sonore (proximité fréquente avec des infrastructures routières), d'effet d'îlot de chaleur urbain ou de sous-performance énergétique des logements", rappelle l'Anru dans la présentation de ses programmes.
Le taux de pauvreté y est par ailleurs trois fois plus élevé que la moyenne. Et nombre d'entre eux sont "en situation de désert médical", alors que les maladies chroniques, comme le diabète ou l'asthme, y sont plus élevées pour leurs habitants, rapporte l'Observatoire national de la politique de la ville.
"Injustice environnementale"
"On est les plus exposés. La réalité, c'est la bétonisation, la pollution, les logements qui sont mal isolés et le fait que dès qu'il y a une canicule, il y a plus de morts dans les quartiers populaires", a témoigné Féris Barkat, cofondateur de l'association Banlieues Climat.
Selon le baromètre Harris Interactive publié jeudi, la rénovation énergétique des bâtiments arrive en tête des préoccupations des habitants (82%) des QPV, avec l'augmentation de la place des espaces verts (74%).
Face à l'enjeu, le gouvernement a lancé fin 2022 le dispositif "Quartiers résilients", doté de 250 millions d'euros, pour aider 49 quartiers à s'adapter au changement climatique en luttant par exemple contre les îlots de chaleur.
A Paris, le climat de 2050 pourrait s'apparenter à celui de Séville, avec plusieurs semaines de canicule par an, selon les prévisions des experts.
"Adapter les quartiers au changement climatique est une question de justice sociale dans la mesure où leurs habitants n'auront pas les moyens d'aller prendre l'air à la mer ou à la montagne", observe Morgane Nicol, directrice de programme à l'institut I4CE.
Pour Renaud Epstein, professeur de sociologie à Sciences-Po Saint-Germain-en-Laye, l'avenir de l'Anru passe même par "l'abandon de l'objectif de mixité sociale", dont l'enjeu est selon lui "à l'école et non dans l'espace résidentiel", au profit "d'un programme massif de rénovation énergétique, là où l'injustice sociale et l'injustice environnementale se combinent".
"On ne sait pas faire de rénovation thermique dans les copropriétés parce que la structure de décision est impossible", souligne-t-il. "Le seul endroit où l'on pourrait avoir un programme massif, rapide, c'est dans les logements sociaux des quartiers prioritaires parce que les structures de décision sont simples".
Plutôt que d'envisager l'avenir sous l'angle de la gestion des risques sanitaires liés au climat, Anne-Laure Legendre, enseignante-chercheuse à l'université de Versailles Saint-Quentin, préconise de penser d'abord au vécu des habitants et à ce qui fait leur bien-être.
Apporter du bien-être, "passe aussi par la justice sociale", qui implique notamment de "répondre au sentiment de relégation des habitants par rapport au reste de la population", note-t-elle.
D'autant que les projets de rénovation urbaine n'ont pas fait, selon la chercheuse, "la démonstration qu'on pouvait changer l'image d'un quartier et le transformer socialement en agissant sur la pierre, l'habitat".