Sur les hauteurs de la commune de quelque 21.000 habitants, à une trentaine de kilomètres au nord de Marseille, se dressent les deux gigantesques tours de refroidissement de la centrale à charbon, propriété de l'allemand Uniper, qui devra fermer d'ici 2022, comme les trois autres centrales françaises considérées comme "très polluantes". La cheminée de 297 mètres voisine a arrêté de cracher sa fumée depuis la grève d'une partie des salariés débutée il y a plus de deux mois.
L'autre côté de la ville est dominé par les imposantes cuves du leader mondial de l'alumine de spécialité, Alteo, avec ses kilomètres de tuyaux dans lesquels circulent la bauxite rouge qui recouvre rues et maisons d'une pellicule ocre.
Salariés de la centrale à charbon, Vincent Lagier et sa compagne Cindy ont "beaucoup à perdre". Convaincu d'être "entré à vie" dans l'entreprise, comme son père et son grand-père, M. Lagier, chargé de maintenance, ne comprend pas la décision de fermeture. "L'environnement est un prétexte", estime ce père de famille de 32 ans qui "soutient pleinement les +gilets jaunes+".
"On ne peut pas faire n'importe quoi avec la planète mais il faut trouver un équilibre avec l'emploi", renchérit sa compagne Cindy qui a quitté Alteo pour rejoindre la centrale dont l'avenir lui paraissait "plus stable". Le couple qui gagne entre 4.200 et 4.500 euros par mois, promet de se "battre jusqu'au bout".
En novembre, Gardanne a eu la confirmation de la prochaine fermeture. Emmanuel Macron avait pris cet engagement pendant la campagne présidentielle. Un nouveau coup dur pour les quelque 170 salariés dans une ville déjà "meurtrie" par la fermeture de ses mines. 475 gueules noires y travaillaient encore en 2003, se plait à rappeler le maire communiste de 83 ans Roger Meï, élu depuis 1977.
Encouragés par la prolongation accordée par le gouvernement à la centrale thermique de Cordemais (Loire-Atlantique) sous condition de conversion à la biomasse, les salariés rassemblés devant le portail de la centrale de Gardanne espèrent, comme Vincent Lagier, un sursis. A côté d'eux, une voiture sur le toit a été taguée "CGT, pas de moratoire, pas de MW" (mégawatts).
"Ecocologiste"
"On ferme nos usines à charbon alors qu'elles ne représentent que 1% des émissions de CO2 produites en France et restent ouvertes en Allemagne et en Chine !", s'exclame le secrétaire général CGT Nicolas Casoni, mettant en garde contre la disparition de "1.000 emplois directs et indirects" dans le département en cas de fermeture.
Une fois n'est pas coutume, direction et syndicat usent des mêmes arguments. "Le problème a été pris à l'envers. Avant de décider d'une date (de fermeture), on aurait dû parler d'un projet et fixer une date pour le réaliser", plaide le porte-parole d'Uniper, Jean-Michel Trotignon.
"Ce n'est pas parce que les centrales représentent 1% de la pollution au CO2 qu'il faut continuer. Si on se compare aux USA et à la Chine, à ce moment-là on ne fait jamais rien", peste Jean Reynaud, des Amis de la Terre. Le retraité souligne le manque d'anticipation d'Uniper et l'obsession de "rentabilité financière" du groupe, en négociation pour la vente de ses activités en France, ainsi que l'implication "insuffisante et trop tardive de l'Etat".
En décembre, le gouvernement a bien nommé un "délégué interministériel", chargé avec les parties prenantes "de construire un avenir" dans les bassins d'emplois des centrales, mais pour l'instant "rien de concret", déplore M. Casoni au lendemain d'une réunion en préfecture.
Différents projets de reconversion s'affrontent: extension de la biomasse, au grand dam des écologistes qui jugent le projet néfaste pour les forêts, ou développement du "charbon propre" avec un centre de recherche, comme le soutiennent les cégétistes et la mairie.
"On n'a pas vu le début d'un commencement de projet de la part d'Uniper", déplore le député écologiste UDE François-Michel Lambert. "La centrale, c'est un bâton merdeux que tout le monde se refile. Tout le monde a peur de dire qu'une page se tourne", fustige l'élu, qui défend notamment un projet de logements avec infrastructures publiques et espaces naturels, auquel s'opposent les salariés.
Le maire qui se dit "écocologiste", affirme, lui, qu'"on ne fait pas de l'écologie le ventre vide", le taux de chômage avoisinant les 11%. Il n'hésite pas non plus à prendre la défense de l'autre usine et de ses 490 salariés, Alteo, régulièrement sur les bancs de la justice pour ne pas respecter les normes environnementales.
Alteo qui a déversé ses "boues rouges" chargées d'arsenic ou de cadmium dans la mer, au coeur du Parc national des calanques, jusqu'en 2015, vient d'être sommée par le tribunal administratif de mettre en conformité ses rejets liquides d'ici la fin de l'année.
"Cette date n'est pas réaliste, on ne saura pas faire dans ces délais", affirme Eric Duchenne, le directeur des opérations de l'entreprise qui brandit la menace de cessation d'activité. "Alteo, c'est 70 embauches en 2018 et 40 prévues en 2019", avertit Harold Perillous, représentant CGT. La Fédération CFTC de la chimie, elle, s'alarme face à un "déchainement d'actions à charge contre l'industriel qui risque de mettre en péril des nombreux emplois directs et indirects".
Selon les Amis de la terre, "Alteo a continué à déverser ses boues rouges jusqu'en 2015 car ça ne lui coûtait rien et que ça ne se voyait pas. Si on la fait payer, en peu de temps elle trouvera des solutions".
Mardi, des militants écologistes ont déversé un chargement de "boues rouges" devant le ministère de la Transition écologique à Paris, dénonçant "l'inaction de l'Etat et le cynisme de l'industriel". Désormais stockées à ciel ouvert, ces boues rouges déshydratées s'envolent à chaque coup de mistral, provoquant l'ire des habitants.