La progression est spectaculaire: quand le Danemark installait en 1991 le premier parc offshore au monde, la Chine a attendu 2007 pour s'y mettre avec un projet pilote, avant l'ouverture de son premier parc en 2010 face à Shanghaï. Aujourd'hui, elle est premier producteur mondial.
Avec à ce jour une centaine de sites du nord au sud du pays (plus de 31 gigawatts en 2022, 140 GW attendus en 2030, selon le Global Wind Energy Council), cet essor est lié à son marché intérieur, mais demain ?
Présente en Europe dans l'éolien terrestre, la Chine l'est encore peu dans l'offshore. Cependant le turbinier MingYang a fourni l'an dernier le premier parc italien, signé pour implanter une usine en Grande-Bretagne et un projet de démonstrateur flottant en Écosse.
Alors que l'UE a de grands objectifs de déploiement et va avoir besoin de force équipements, services et main d'oeuvre pour les tenir, le sujet était dans les têtes au salon Seanergy, qui réunissait cette semaine la filière des énergies marines.
"Approche collaborative"
Avec 60 GW prévus en 2030 et 300 GW en 2050, les acteurs redoutent les goulets d'étranglement pour les câbles, les fondations, les usines d'assemblage...
"Les industriels européens sont assez inquiets. Aujourd'hui il fait beau, mais on se préoccupe du temps demain et on voit se former la tempête parfaite autour de trois éléments: la demande, la course aux parts de marché et aux prix" bas, alerte Frédéric Grizaud, des Chantiers de l'Atlantique, devenus un spécialiste des sous-stations électriques de parcs.
Si rien n'est fait, "en 3-5 ans, l'industrie offshore européenne est balayée et peut basculer en Asie", dit-il.
Aujourd'hui la Chine compte notamment onze fabricants de turbines, offrant des prix deux fois inférieurs aux prix européens, décrit Feng Zhao, du GWEC, organisation professionnelle internationale. Dans la course à la technologie, le pays, qui "a commencé en apprenant de l'Europe", a lancé en février une éolienne d'une puissance record (18 MW).
Les Européens resteront "des acteurs clés" en Europe, et puis les éoliennes sont moins riches en composants que les panneaux photovoltaïques, veut-il rassurer. Pour autant, "il faut être réaliste", ajoute-t-il: les acteurs chinois "seront nécessaires pour combler les besoins, et il faut réfléchir à une approche collaborative globale" sur la chaîne d'approvisionnement.
"Jeu mortifère"
A Seanergy, on insiste: les moyens de production sont là, mais il faut accélérer et investir et pour cela, être soutenu.
"Il faut se mettre en position d'y arriver", dit Marc Hirt, directeur France du consortium développeur Ocean Winds, qui pour le parc de Noirmoutier a dû faire venir des fondations de Chine, faute de fabricants européens disponibles.
Pour lui, les États-Unis avec leur Inflation Reduction Act (IRA), "ont mis beaucoup de moyens pour faciliter le contenu local; on espère que l'UE fasse pareil".
A Bruxelles le secteur demande une possibilité de soutien, comme aux États-Unis, aux budgets de fonctionnement et maintenance (Opex), pas seulement aux investissements (Capex).
Mais aussi que, dans la sélection des projets, le facteur prix, qui représente aujourd'hui 70% de la notation, laisse une plus grande place à d'autres critères (RSE, contenu local, concertation, cybersécurité...)
Le prix du MW a déjà baissé drastiquement ces dernières années. Mais cette course incessante se fait par la recherche des coûts les plus bas et au prix d'une fragilisation des entreprises, déplore l'association France énergie éolienne (FEE).
Matthieu Monnier, délégué général adjoint de FEE, cite le cas des turbiniers européens, contraints de concevoir des éoliennes toujours plus puissantes "avant d'avoir rentabilisé" les précédentes. "Il faut arrêter ce jeu un peu mortifère" pour les industriels, dit-il.
Le numéro un mondial Siemens Gamesa, en difficulté financière dans un contexte post-covid et d'inflation, a ainsi dû concevoir cinq modèles en dix ans. Quant au consortium emmené par EDF, choisi début 2023 pour un parc en Normandie, il a prévu des éoliennes de 23 MW, qui n'existent pas encore.