"La vue est magnifique et le monument aussi. Toutes ces sculptures, aussi hautes alors que personne ne vient jamais les voir, c'est impressionnant", s'étonne Gaétan Perrier.
Grand sourire et yeux pétillants, ce menuisier de formation a choisi à 23 ans un métier qui allie sa passion pour la montagne: cordiste.
Équipé d'un casque, harnais et descendeur, il porte 20 mousquetons et plus de 150 mètres de cordes, soit 20 à 25 kg de matériel, dix de plus que pour les autres chantiers.
"Dans ce métier, la difficulté, c'est de se sécuriser, ça prend du temps, et de travailler avec du matériel constamment accroché comme des tôles ou des velux", explique celui qui a "toujours envie de monter plus haut."
Tel un alpiniste, mais avec du matériel proche de la spéléologie davantage adapté au travail, ce Bordelais aide son binôme de la société Adrenaline, Christophe Jolly, à vérifier les fissures de la flèche Saint-Michel avant les travaux.
"L'ascension est assez physique et l'accès ne se fait que par l'extérieur", explique Christophe, 45 ans, soulignant qu'avec ses 114 mètres, ce clocher campanile du XVe siècle est bien plus haut que Notre-Dame où des collègues sont à l'oeuvre.
"Faire appel à des cordistes à Notre-Dame, c'est une reconnaissance de notre métier, c'est une fierté. L'intérêt principal de notre travail, c'est l'accès et la sécurité. A n'importe quel endroit, on s'accroche et tout le monde doit être en sécurité", souligne-t-il.
"La corde, ça reste une liberté qu'aucun engin ne peut remplacer!", résume cet alpiniste du bâtiment.
Ouvrier polyvalent, il se forme depuis 18 ans à tous les métiers: couvreur, carreleur, menuisier, maçon, tailleur de pierre, peintre, laveur de vitres... au gré des chantiers.
"Préservation de l'éternité"
"Le fait de travailler aussi sur du neuf, on apprend plein de choses. Pour le patrimoine, nous voyons les techniques anciennes comme le taillage de la pierre. On doit pouvoir tout faire, c'est ce qui est intéressant dans notre métier, on apprend tout. On ne s'en lasse pas", dit Christophe qui a fait toute sa carrière à Bordeaux.
Il a voltigé au dessus du vide depuis des HLM, des ponts, des châteaux, des éoliennes avec une vue à 360°degrés et dans des lieux aussi chargés d'histoire que le phare de Cordouan, à l'embouchure de la Gironde, ou les cathédrales de Reims et Chartres.
Ce vétéran compte continuer jusqu'à ce que le physique ne suive plus dans un métier où la reconversion peut s'avérer difficile, les compétences acquises au bout des cordes n'étant pas validées.
Ancien moniteur de ski, originaire de Chamonix, Christophe fait partie de l'ancienne génération ayant appris sur le tas, contrairement à Gaétan qui vient du bâtiment et a suivi une formation de cinq semaines dans le Vercors (Drôme).
"Il faut être très attentif pour éviter tout accident, avoir une bonne notion en 3 D, penser beaucoup aux autres et à soi. Il faut être conscient des autres entreprises qui travaillent aussi sur le chantier", explique ce travailleur sur cordes pour qui la sécurité s'est fortement améliorée.
"Ce n'est plus les têtes brûlées. Les mentalités ont évolué, il y a eu des couacs et les normes ont changé, merci l'Europe!", précise-t-il.
Selon son responsable Nicolas Gaudé, la profession déplore un mort par an sur environ 10.000 cordistes en France.
Contrairement aux gros chantiers avec échafaudages, "nous, on est la petite maintenance comme à Notre-Dame. On est léger", résume ce chef d'agence d'Adrenaline chargé du Sud-Ouest. Pendant 20 ans, il est monté régulièrement tout en haut de la flèche Saint-Michel pour vérifier l'évolution des fissures: "on participe à la préservation de l'éternité, ça donne un sens à la vie."