"À l'époque, je me disais: 'Soit je suis un visionnaire, soit je suis idiot', à l'heure qu'il est, je penche pour le côté visionnaire", plaisante, quatre ans après, Emeric Cadalen, PDG de Fruit Gourmet, entreprise de 43 salariés à Allemans-sur-Dropt, dans le nord de ce département du Sud-Ouest.
Alors que les cours flambent, M. Cadalen estime avoir réduit d'environ 20% sa facture annuelle de gaz (50.000 euros auparavant) depuis qu'il a acheté un four à énergie solaire thermique, dont il se dit "démonstrateur". Son économie s'élèverait même à 30.000 euros avec des contrats "aux cours actuels", assure le dirigeant qui n'a pas pu mesurer, en revanche, les effets sur ses émissions de gaz à effet de serre.
Sur le parking de son hangar de transformation, niché sur des coteaux, l'entrepreneur a installé 200 mètres carrés de miroirs solaires, disposés en longues lamelles d'un mètre de large.
Reprenant le concept de la lentille de Fresnel, "vieux comme le monde", ces dernières réfléchissent la lumière du soleil sur un conduit captant l'air extérieur. Chauffé jusqu'à 250 degrés, celui-ci alimente deux fours séchant ou pasteurisant bananes, pommes, pruneaux, fraises et figues, qui fonctionnent habituellement au gaz.
Le week-end ou la nuit, quand la PME ferme ses portes, un autre tuyau achemine l'air chauffé dans un conteneur hermétique, rempli de graviers de la Garonne qui permettent de stocker la chaleur, jusqu'à quatre jours, avant de la renvoyer vers les fours.
"Mid-tech"
Acier pour la structure, aluminium pour les miroirs et les tuyaux, graviers pour le stockage: son inventeur, Didier Martin, vante "un système mid-tech".
Cet ingénieur des Mines, fondateur de l'entreprise IdHelio à Albi (Tarn), s'est inspiré en partie du four solaire d'Odeillo dans les Pyrénées-Orientales, l'un des plus grands du monde, créé en 1969 pour des recherches scientifiques.
En visant des entreprises spécialisées dans le séchage - aliments, bois, matériaux de construction, déchets - "sur le bassin méditerranéen" ensoleillé, l'inventeur espère vendre "une dizaine" de ces systèmes par an dans le pays, pour un marché de 100-150 millions d'euros.
Selon Richard Loyen, délégué général du syndicat des énergies renouvelables (Enerplan), cette innovation "inédite en France" survient alors que la filière solaire thermique "retrouve des couleurs".
Lancée après le choc pétrolier de 1973, principalement pour chauffer des habitations, elle a été délaissée à l'époque de "l'électricité abondante" puis est restée dans l'ombre de son cousin, le solaire photovoltaïque, depuis les années 2000, relate Alain Mestdagh, référent solaire thermique pour l'Ademe en Nouvelle-Aquitaine.
Fin 2020, le secteur ne représentait que 0,2% de la consommation de chaleur en France, outre-mer compris, selon l'organisme Socol qui rassemble les acteurs de la filière.
Compétitif
Mais avec un coût de production de 40 à 60 euros le mégawatt-heure (Mwh), le solaire thermique est devenu très compétitif face au gaz qui oscille entre 100 et 125 euros actuellement, explique M. Loyen.
Pour se développer, la filière peut compter sur un fonds de subventions proposé par l'Ademe, doté de 500 millions d'euros. Mais il faudra convaincre le monde de l'entreprise, qui achète son énergie "au jour le jour", d'adopter une vision à plus long terme, selon l'inventeur du procédé.
Les solutions actuelles des industriels pour économiser l'énergie, comme les ampoules LED, "ont un retour sur investissement en moins de trois ans", mais "investir dans le renouvelable, c'est acheter 20 années de stock d'énergie d'un coup", souligne Didier Martin.
"On ne pourra pas se passer à 100% des énergies fossiles", considère de son côté le patron de Fruit Gourmet, tandis que devant ses fours où sèchent des palettes de pruneaux, la veilleuse des brûleurs à gaz s'active dès qu'un nuage passe au-dessus du récepteur solaire.
Son entreprise a mis six mois pour mettre au point cette alternance millimétrée solaire-gaz et "sécuriser" son processus de production.