Parmi les contestataires, les Gasp (Grandmother Act to Save the Planet) qui multiplient depuis des semaines les actions, notamment devant les permanences des élus provinciaux.
"Cette décision a détruit ma confiance dans le processus démocratique", estime Christine Hutchinson, qui manifeste, panneau "Pas touche à la Ceinture verte" en main.
Très engagée, cette résidente d'Oakville, à l'ouest de Toronto, était rassurée de voir que plusieurs communes avaient voté contre l'extension de leurs limites constructibles.
Mais tout cela a fait long feu.
En ouvrant il y a quelques mois 3.000 hectares à l'urbanisation, Doug Ford, le Premier ministre conservateur de l'Ontario est revenu sur sa promesse de ne pas toucher à "la plus grande ceinture verte du monde", selon la fondation officielle chargée de sa protection.
Les 810.000 hectares, constitués principalement de terrains privés, se composent de champs vallonnés, de forêts et de zones humides. Des falaises rocheuses de Niagara aux plaines agricoles de l'ouest, elle prend la forme d'un fer à cheval autour de Toronto. Ces terres agricoles, parmi les plus fertiles de l'est canadien, sont protégées depuis 2005.
Le gouvernement Ford a désigné 15 emplacements pour y bâtir 50.000 logements et contribuer à l'objectif de création de 1,5 million dans la province d'ici 2031.
Pour justifier son revirement, Doug Ford invoque l'explosion des prix et les nouveaux objectifs du Canada en matière d'accueil - le gouvernement libéral de Justin Trudeau a annoncé vouloir accueillir 500.000 immigrants par an. Des nouveaux arrivants qui s'installent en priorité dans les grandes aires urbaines.
Mais pour Brigitte Sopher, habitante de Whitevale, à côté de la réserve agricole de Duffins-Rouge, où 2.000 hectares de champs vont devenir constructibles, cette décision est insensée.
"Ces terres devraient servir à alimenter la population locale, d'autant plus que les problèmes d'approvisionnement vont augmenter avec le changement climatique", lâche-t-elle.
10 millions d'habitants en 2050
La métropole de Toronto incarne le cas le plus aigu de la crise du logement qui touche les villes canadiennes. D'après les prévisions gouvernementales, sa population passera de 6,8 à 10,2 millions d'habitants en 25 ans. Le prix moyen d'une maison en Ontario a presque triplé depuis 2011 et le loyer d'un appartement deux-pièces dépasse les 2.500 dollars (1.661 euros).
Mais "ces zones jouent un rôle vital dans la protection contre les inondations", s'inquiète Mike Schreiner, seul député provincial du Parti vert. "Et nous savons qu'avec le changement climatique, nous serons confrontés à des risques accrus de conditions météorologiques extrêmes".
"Ces espaces jouent un rôle vital dans la filtration de l'eau qui termine dans le lac" Ontario, ajoute Mark Winfield, professeur en sciences de l'environnement et urbanisme à l'université de York.
Par ailleurs, "cette nouvelle loi laisse les mains libres aux promoteurs", complète-t-il. "Or, on observe que les groupes privés ne construisent pas de logements abordables, sauf si on les contraint".
"Le problème n'est pas la quantité, il se construit beaucoup de nouveaux appartements, mais ils sont inaccessibles", renchérit Barbara Ceccarelli, directrice générale de Centre d'accueil héritage, une structure de logement social.
L'enjeu fait tellement polémique dans le pays que le gouvernement fédéral a décidé d'intervenir. Le ministre canadien de l'Environnement Steven Guilbeault a commandité une étude pour "comprendre les effets potentiels pour l'intégrité" du parc national de la Rouge dont l'Etat est gestionnaire.
Il a précisé que le gouvernement pourrait utiliser les lois fédérales sur l'environnement pour bloquer une partie du développement.
Mais Brigitte Sopher craint que l'étude n'arrive trop tard, puisque "les promoteurs préparent déjà le terrain".