En Europe, le dérèglement climatique bouscule et fait évoluer les pratiques architecturales.
Olga est lituanienne, Anna est suédoise et Thomas français. Architectes de formation, ils ont participé il y a quelques jours à Paris au "Forum Bâtiments Climat", sous l'égide de l'ONU. L'AFP les a rencontrés lors de ce premier rassemblement mondial de professionnels de la construction, financeurs, ministres et diplomates, autour de la question du climat.
"Début 2020, j'ai décidé que je ne construirai pas", dit Olga, 34 ans, à l'AFP. Aujourd'hui, reconvertie dans l'enseignement et l'associatif, son objectif est de faire prendre conscience aux professionnels de la construction de l'impact de leur activité sur l'élévation des températures mondiales. Elle anime, y compris chez de grands noms de l'architecture mondiale, des ateliers participatifs "fresques de la construction" déclinaison de la célèbre "fresque du climat".
Elle a pourtant travaillé dans des agences d'architecture à Newcastle en Grande-Bretagne où elle a obtenu son diplôme, et à Edimbourg en Ecosse. La jeune femme, très entreprenante, a planché sur un vélodrome au Canada, une résidence étudiante à Cardiff et "beaucoup d'hôtels et d'appartements de luxe à Edimbourg".
"J'ai pris conscience du gâchis des matériaux", se souvient-elle. "Quand on refaisait une agence bancaire, on jetait tout". "Et je n'étais pas satisfaite de voir que beaucoup de lofts de 200 mètres carrés restaient vides": "des investissements de gens riches qui plaçaient leur argent".
"Claque"
Le réchauffement climatique, Olga en avait entendu parler, mais sans faire le lien avec son activité. C'est "la claque" prise en lisant le livre d'un écologiste radical qui la fait bifurquer et décider "de ne plus faire d'architecture" tant qu'elle n'a "pas trouvé le moyen de bien en faire".
Selon elle, "l'urgence n'est pas de construire bas carbone, mais de rénover tout ce qu'on peut" pour éviter d'émettre du CO2 deux fois: en démolissant puis en reconstruisant. Elle s'intéresse notamment à "l'intensification de l'usage des bâtiments". Une école peut servir à autre chose les soirs et les week-ends, ce qui pourrait "éviter de construire pour rien", dit-elle.
Anna Ervast Öberg, a aussi quitté l'architecture. Pour se lancer dans la promotion immobilière. "C'est là qu'est le vrai pouvoir" d'imposer de nouveaux modèles, estime-t-elle.
Le projet Cedarhouse qu'elle promeut est un programme de logements tout en bois à Stockholm, au dessus d'une autoroute. Il évite l'étalement urbain, réduit les émissions de CO2 par rapport à celles très élevées du béton, et accueille 240 familles. En Suède, 20% des nouveaux bâtiments à étage sont en bois, et quatre usines de bois ont ouvert cette année, sourit-elle.
Thomas Bourdon, l'un des deux associés de l'agence Croixmariebourdon à Malakoff en banlieue parisienne, est lui architecte pratiquant.
Ses bâtiments sont au coeur des enjeux climatiques et sociaux du moment: rénovation, évolution, réversibilité, matériaux biosourcés, sobriété. Il transforme des bureaux en logements, construit des halles de marché en bois, réhabilite des logements sans pousser les occupants dehors. Son expérience de mécénat en Afrique a changé la vie de son agence.
"Pas cher, durable, sans entretien, sans énergie"
L'agence a construit une bibliothèque à Guiré-Yéro-Bocar en Casamance au Sénégal. Un élégant bâtiment rond, ventilé naturellement, ceint d'un treillis de bambous autour de murs en briques de terre crue, locale et compressée, qui protègent les livres. Le projet émane de la demande d'un ami sénégalais qui voulait doter son village d'origine d'une bibliothèque où stocker 15.000 livres collectés dans des lycées français.
"Il fallait que ce soit pas cher, durable, sans entretien, sans énergie, résistant aux termites et aux ruissellements de la saison des pluies", explique Yaya Mballo, à l'origine du projet.
"Toute l'agence s'y est mise, on a fait des ateliers d'idées, on a été chercher des matériaux et des savoir-faire locaux parfois oubliés, on a formé des gens sur place, tout ça à distance", explique Thomas Bourdon.
Une semelle de béton stoppe les termites. Le toit incliné en tôle d'acier est doublé d'un plafond de bambou pour casser les rayonnements solaires. "On a découvert de vrais savoir-faire locaux dans le travail du métal et la serrurerie", dit M. Bourdon.
Le bâtiment est devenu l'attraction du coin, le lieu où se réunissent les jurys de baccalauréat et où se tiennent des fêtes de fin d'année. "Beaucoup de gens se sont renseignés, au Maroc, en Egypte, Tunisie ou en Somalie", dit M. Bourdon. Et après cette expérience, pour nos travaux en France, "nous cherchons de plus en plus de solutions simples et locales".