Dans la nuit de vendredi à samedi, Engie, géant français de l'énergie, a annoncé avoir choisi Bouygues face à deux autres compétiteurs pour lui céder Equans, sa filiale regroupant divers services techniques pour les entreprises et collectivités - gestion de l'énergie dans les bâtiments, ventilation, climatisation, chauffage, numérique, électricité ou encore sécurité incendie.
Ce rachat - le plus gros dans l'histoire du groupe créé en 1952 par Francis Bouygues - "est un changement complet et profond de dimension, qui va déplacer son centre de gravité", résume lundi à l'AFP une source proche du dossier.
Historiquement connu pour la construction, son premier métier, Bouygues s'était déjà diversifié dans les télécoms (avec Bouygues Telecom) et les médias (avec TF1, en passe de fusionner avec M6). Mais son quatrième pôle "Energies & Services" restait relativement modeste avec un chiffre d'affaires de 4 milliards d'euros.
L'intégration d'Equans - avec pas moins de 74.000 salariés et 12 milliards d'euros de chiffre d'affaires - va faire quadrupler de taille cette branche et en faire "le premier métier de Bouygues", soulignait ce dernier dans son communiqué samedi.
Le groupe présidé par Martin Bouygues insistait notamment sur "le marché porteur des services multi-techniques", qui se trouve "à la convergence des transitions énergétique, numérique et industrielle".
"Ces métiers-là sont un bon complément par rapport au BTP classique, et génèrent surtout une marge plus importante, avec des contrats de maintenance sur plusieurs années qui offrent une certaine visibilité. Et dans ce business, Bouygues était en peu en queue de peloton, avec une marge opérationnelle pour Bouygues Energies & Services plutôt modeste, à 2% en 2019", souligne Eric Lemarié, analyste actions chez Bryan, Garnier & Co.
Prix "astronomique"
Ce rachat "fait sens" également pour Frédéric Rozier, gestionnaire de portefeuille chez Mirabaud, "d'un point de vue géographique car Bouygues s'implante de manière assez importante dans ce business au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Belgique. Et aussi d'un point de vue économique car on connait, notamment avec la transition écologique, les besoins de transformation dans les énergies et on sait qu'une croissance va être là".
Il souligne aussi que ces métiers "ont moins de cyclicité. On a vu récemment dans l'immobilier qu'il peut y avoir des gros trous d'air".
Cependant, M. Rozier juge qu'il y a également "beaucoup de questions sur la rentabilisation de cette acquisition: le prix est juste astronomique, avec des contraintes de conservation d'emplois et de créations d'emplois".
Bouygues s'est en effet "engagé à ne mettre en oeuvre aucun plan de départs contraints en France et en Europe" pendant cinq ans, et à "la création nette de 10.000 emplois" sur la même période.
"Certes Bouygues n'a pas de dette" mais dans son pôle Energies & Services "le niveau de marge est plutôt inférieur à 3%. Or, le +business plan+ proposé se base sur des marges quasiment à 5%: alors d'accord il y aura peut-être des synergies, mais on se demande comment ils vont opérer pour que l'ensemble arrive à ce modèle de rentabilité jamais atteint jusqu'à présent", estime Frédéric Rozier.
Le prix payé pour Equans "est cher, même si ce n'est pas tous les jours qu'on a un deal comme Equans à se mettre sous la main", renchérit Eric Lemarié.
Si le titre chutait à la Bourse de Paris lundi (-5,96% à 15H12, à 33,47 euros), c'est parce que "le marché pense que Bouygues a payé un prix trop élevé, qu'il y a des risques d'intégration parce que l'entité est de taille importante et qu'elle est vraisemblablement composée d'une multitude de métiers différents, ce qui peut éventuellement compliquer l'exécution du deal", selon lui.
M. Lemarié met aussi en avant le fait que "le deal ne sera finalisé qu'au deuxième semestre 2022 et qu'aujourd'hui on a peu de chiffres officiels, on rentre donc dans une période d'incertitudes, ce qui n'est jamais bon boursièrement parlant".