"Ça se dégrade mais malgré tout, on est bien ici, on a vécu ici, on y restera", ne démord pas Madeleine Lino, 51 ans, jogging gris et bras croisés.
La concierge a "sacrifié" le poste qu'elle partageait avec son mari. Elle espérait soulager Jupiter gangrénée par les charges impayées et rester dans "sa tour", "la seule du Val-Fourré avec des fleurs" à ses pieds. Quelques tulipes orangées, jacinthes et rosiers jouxtant des poubelles pleines.
Malgré ces ornements, Jupiter ne peut tenir la concurrence imposée par Neptune.
Tout juste ravalée, celle-ci domine, en face, la froide dalle de béton qui tient lieu de forum public. Sa façade d'un blanc éclatant détonne dans la palette de gris de l'immense cité: 6.000 logements dont 5.000 sociaux, tassés sur les bord de Seine.
A elle deux, les tours quasi-jumelles illustrent ces rêves urbains des années 1960 rattrapés par la pauvreté, ces copropriétés torpillées par des copropriétaires mauvais payeurs et des marchands de sommeil.
Charges impayées
Elles sont aujourd'hui au coeur de l'une des quatre opérations franciliennes de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national (Orcod-In): un plan de sauvetage exceptionnel, piloté par l'Etablissement public foncier d'Ile-de-France (Epfif). Plus largement, 400 millions d'euros sont prévus pour "ouvrir sur la ville" ce quartier prioritaire d'ici 2030.
Neptune, majoritairement occupée par des propriétaires, sera maintenue à flot. Jupiter, de plus petites surfaces habitées à 80% par des locataires, doit disparaître.
"Quand j'ai acheté en 1982, on m'a vendu qu'ici c'était le XVIe arrondissement de Paris mais à Mantes-la-Jolie", assure Mohamed Hzeg. Le quartier est "calme" et le F4, acquis pour l'équivalent de 35.000 euros actuels, parfait pour ses enfants, songe alors l'ingénieur géomètre.
"Il y avait une bijouterie, des marchands de costumes, c'était un bon standing", abonde Jean Bégué, président du syndic et fondateur en 1975, au rez-de-chaussée, d'un laboratoire d'analyses médicales encore en activité.
"On n'était pas au courant des comptes de la copropriété en achetant. A un moment, on se réveille et on comprend qu'il y a autant d'impayés, et là, on a commencé à tirer la langue", explique M. Hzeg, 80 ans, toujours dans son confortable F4.
La situation s'est dégradée "petit à petit". Les procédures en justice, chronophages, n'y font rien, pas plus que les relances. Certains débiteurs renflouent, une dizaine non. Les charges s'alourdissent, 1.000 euros par trimestre pour un 82 m2. Les impayés dépassent les 200.000 euros fin 2020.
"Délabré, ça ?
Alors que le quartier entame sa mue dans les années 1990 en faisant tomber les tours HLM pour dédensifier la zone, des bouées financières publiques sont lancées à Jupiter et Neptune.
"On a réalisé les travaux. Regardez les peintures, les boîtes aux lettres, c'est délabré ça ?", désignent les propriétaires dans des étages globalement propres.
Il y a des cafards, des habitats indignes, rétorque l'Epfif, sans compter "les cas de suroccupation assez importants" et les "installations électriques insalubres". "Il n'y a plus d'autres options" que la destruction annoncée à l'automne pour 2026, assure Guillaume Idier, directeur de la communication de l'Epfif.
Déjà quatorze propriétaires ont vendu leurs biens, sur la base "des prix du marché et de la valeur d'usage".
Vendre à l'Epfif un 90 m2 pour, au mieux, 75.000 euros ? Lahcen Tioual s'y oppose. "Je ne vendrai pas pour des miettes", martèle l'ex-ouvrier de l'usine Simca de Poissy qui dit s'être "serré la ceinture" pour acheter neuf des 105 appartements de la résidence.
Il s'affirme d'autant plus spolié que les propriétaires de Neptune n'ont déboursé en moyenne que 700 euros chacun, à comparer aux 3,3 millions injectés pour rénover cette passoire thermique.
Dans Neptune aujourd'hui, "c'est beaucoup mieux", confirme sous le couvert de l'anonymat une de ses locataires. Même si l'un des deux ascenseurs est "hors service depuis trois ans" et que "ceux qui ne payaient pas leurs charges hier ne paieront pas demain".