Créé en 1946, au moment de la nationalisation des entreprises du secteur, ce statut permet à Olivier Guerin, 55 ans, d'envisager de partir à la retraite dans les deux ans après une carrière débutée à 18 ans, compte tenu de la pénibilité.
Avec la réforme, l'échéance pourrait s'éloigner pour cet agent, "pur produit d'Enedis" et fils d'agent GDF.
Aussi loin qu'il se souvienne, le statut et ses avantages, comme le tarif agent, "a toujours été sur la sellette", dit-il. "J'ai fait ma première manifestation sur les épaules de mon père, je devais avoir cinq ans".
"Dès le départ, ce statut a été attaqué. Il a subi des attaques permanentes de la part notamment de politiques qui le trouvaient trop généreux", confirme à l'AFP Stéphane Sirot, historien spécialiste des syndicats et auteur du livre "Electriciens et gaziers en France; une histoire sociale, XIXe-XXIe siècles" (éditions Arbre bleu).
Dans la ligne de mire notamment, ce fameux "tarif agent", qui permet de payer environ 10% de la facture d'énergie d'un particulier. Parmi les autres avantages, un système performant de couverture maladie et d'oeuvres sociales aidant les salariés.
Le statut a aussi contribué à façonner une "identité commune" forte dans la branche, bien utile quand il faut mobiliser les agents après une tempête. Cela favorise l'action syndicale.
Ces avantages permettent d'attirer et de fidéliser dans la profession qui a aussi ses servitudes, dit Stéphane Chérigié, secrétaire national de la CFE-Energie: "Quand on recrute un jeune cadre, on lui dit +tu seras peut-être un petit peu moins payé qu'ailleurs, mais tu as le tarif agent, tu as les activités sociales, le régime de retraite+, c'est un peu comme ça qu'on fait briller les yeux".
Ensuite, par contre, le déroulement de carrière est "modéré et très lissé", autrement dit moins enviable que "dans d'autres grosses boîtes privées", dit-il.
Marqué par 35 ans de système d'astreintes, Olivier Guerin se sent "broyé" physiquement, entre les heures à genoux devant les coffrets électriques et des interventions exigeantes physiquement en haut des pylônes, à toute heure du jour et de la nuit.
"Un arbre qui s'est couché sur la ligne, un véhicule qui est rentré dedans. En cinq minutes, on vous demande d'être réactif et de bouger pour partir sur l'intervention", explique Olivier Guerin.
"Panade énergétique"
Ces contraintes sont à l'origine du statut, selon Stéphane Chérigié : "quand après guerre, on a nationalisé les industries d'électricité et de gaz, il fallait vraiment mettre le paquet sur ces industries-là, parce qu'il y avait besoin de reconstruire des réseaux électriques, pour qu'on puisse faire tourner l'industrie, etc..."
La réforme du gouvernement met fin au régime spécial de retraite de l'énergie, mais officiellement ne touche pas au statut.
Il n'empêche: cela "amènera à la destruction du statut des IEG (industries électriques et gazières) dans son ensemble ensuite", prédit Amélie Henri, secrétaire nationale CFE-Unsa énergies pour EDF, deuxième syndicat du secteur.
"D'ici cinq à dix ans, avec cette réforme, c'est la fin. Ils savent qu'ils vont casser notre statut, notre comité d'entreprise, et notre tarif particulier, c'est un jeu de dominos", dénonce aussi Frédéric Ben, délégué CGT Storengy.
Sylvain Badinier, de la CFDT Chimie-énergie, pronostique la même cascade : "au bout de quatre ou cinq ans, assez rapidement, il va y avoir une partie importante des salariés qui ne sera plus au régime de retraites des IEG donc cela préfigure la négociation d'une nouvelle convention collective, comme à la SNCF".
Pour l'historien Stéphane Sirot, le statut des IEG risque aussi de souffrir de la proportion croissante d'ingénieurs et de techniciens qualifiés dans les grandes entreprises du secteur. Les tâches autrefois dévolues aux ouvriers sont externalisées à des entreprises hors statut.
"Aujourd'hui, vu la panade énergétique dans laquelle on se trouve, il ne serait pas inintéressant de sauvegarder le service public de l'électricité et du gaz", conclut Stéphane Chérigié.