"La majorité silencieuse est satisfaite. Mais les gens touchés par cette mesure sont très mécontents: je me fais engueuler", reconnaît sans ambages Gilles Lurton, maire LR de Saint-Malo.
Depuis juin 2021, cette destination touristique très prisée expérimente une nouvelle réglementation des "locations de courte durée" du type Airbnb, Abritel, Expedia ou Booking. "On était arrivé à un point où on ne pouvait plus se loger intra-muros", affirme M. Lurton, qui souligne que la question avait été un sujet central des municipales de 2020.
Désertification du centre ville, spéculation immobilière, disparition des commerces du quotidien.... Le développement des plateformes de réservation en ligne est vu par beaucoup d'habitants comme la cause de la dégradation de leur qualité de vie.
Car avec 636 nuitées pour 100 habitants, Saint-Malo était en 2019 la championne de France des locations courte durée devant Bordeaux (239), d'après une étude commandée par la mairie.
En juin dernier, la municipalité a donc voté une nouvelle réglementation imposant de nouvelles règles drastiques, avec notamment l'instauration de quotas par quartiers. Dans la vieille ville fortifiée, seuls 12,5% des logements peuvent ainsi être loués en meublés touristiques pour des courtes durées, et 7,5% dans le secteur littoral. Les quotas sont de 1% et 3% dans les deux autres secteurs de la ville.
"A notre connaissance, c'est la réglementation la plus restrictive" de France, estime l'avocat Simon Guirriec. "Il faut être une personne physique, avoir un seul logement à louer et avoir été là avant les quotas", énumère-t-il.
Avec son confrère Antoine Vaz, Me Guirriec a attaqué la réglementation malouine devant le tribunal administratif de Rennes, au nom d'une dizaine de propriétaires. "Les requérants ne sont pas des va-t-en guerre, ils sont conscients qu'une réglementation est nécessaire. Ils ne souhaitent qu'une chose, c'est être entendus", assure-t-il.
"C'est à qui va réglementer le plus"
Lors du dernier conseil municipal, fin février, le maire a précisé que 1.604 logements avaient été autorisés à la location à courte durée et 343 recalés, les quotas étant dépassés dans la plupart des quartiers de Saint-Malo. "L'objectif, c'est de remettre des logements sur le marché", explique le maire.
Une avancée saluée par le collectif "Saint Malo, j'y vis, j'y reste", en pointe sur le sujet.
"La bulle Airbnb est en train d'éclater", se réjouit Franck Rolland, porte-parole du collectif. "Quand on a commencé à se mobiliser sur le sujet, on nous disait qu'on ne pouvait rien faire contre une multinationale basée en Californie. Des outils existent: c'est une bonne nouvelle".
A tel point que d'autres communes lorgnent vers Saint-Malo avec intérêt. Ainsi, à l'autre bout de la baie du Mont-Saint-Michel, Granville (Manche) aimerait suivre l'exemple malouin.
"On a une situation alarmante avec un marché immobilier extrêmement tendu et des prix qui s'envolent", explique Gilles Ménard, maire (divers gauche) de Granville. "Les locaux n'arrivent plus à se loger. On perd des habitants à cause de l'immobilier et les effectifs des écoles baissent car il y a moins de jeunes".
La municipalité est en train de constituer un dossier pour être reconnue "en zone tendue" par la préfecture, ce qui lui permettrait d'imposer des quotas dans certains quartiers.
Colmar, Bayonne, Biarritz, Honfleur... Après les grandes métropoles, de plus en plus de villes petites ou moyennes ont adopté de nouvelles règles pour contenir la vague Airbnb.
"C'est à qui va réglementer le plus", se désole Dominique Debuire, président de l'Union Nationale pour la Promotion de la Location de Vacances (UNPLV), qui défend les plateformes.
"L'erreur, c'est de penser que tout va être remis à la location à l'année. C'est faux", affirme-t-il, en assurant que les propriétaires se contenteront de garder leur logement comme résidence secondaire.
"On sent un frémissement", rétorque M. Lurton, qui juge que d'autres communes imiteront Saint-Malo si la justice donne raison à la cité corsaire.