Batinfo : Pouvez-vous nous rappeler l'histoire et les prérogatives de l'Ordre des géomètres-experts ?
Joseph Pascual : L'Ordre a été créé par la loi du 7 mai 1946 et représente aujourd'hui près de 2000 géomètres-experts. Répartis sur tout le territoire français, ils mettent en œuvre les dispositions de l'article 1-1 de notre loi ordinale, « seuls les géomètres-experts fixent les limites des biens fonciers ». Concrètement, pour connaître les limites d'un bien foncier, que vous soyez propriétaire d'un terrain ou d'un lot de copropriété, il faut donc faire appel à un géomètre-expert. De par le maillage territorial des membres de l'Ordre, un géomètre-expert devrait être présent dans un rayon de 30km autour de votre domicile.
Nos missions consistent :
- à réguler la profession. Géomètre-expert est une profession réglementée qui dépend d'un ministère de tutelle, celui en charge de l'urbanisme, à qui nous rendons des comptes. Pour être inscrit au tableau de l'Ordre, et pouvoir ainsi exercer, il existe des conditions notamment de diplôme et une obligation de formation. Les Conseils régionaux de géomètres-experts sont chargés de s'assurer que nos membres participent régulièrement à des formations continues.
- à veiller au respect de la déontologie et des règles de l'art pour assurer un niveau d'excellence et une homogénéité des prestations de nos membres sur tout le territoire français.
Batinfo : Qu'a permis de mettre en avant cet arrêt de principe de la Cour de Cassation du 29 juin 2022 pour vous ?
Joseph Pascual : Pour moi, cet arrêt a rappelé qu'il n'existe pas de « sous-propriétaire » en France. Que vous soyez propriétaire d'un terrain ou propriétaire d'un lot de copropriété, il s'agit toujours d'un bien foncier. Les garanties qu'apportent les géomètres-experts aux propriétaires sont toujours les mêmes et du même niveau. Cette décision de la Cour de Cassation ne vient que confirmer cette vision qui a sans cesse été celle de l'Ordre, comme l'indique notre loi ordinale, et consacre ainsi le droit que les plans annexés aux états descriptifs de division qui délimitent les biens fonciers doivent être réalisés exclusivement par des géomètres-experts.
Batinfo : La Cour de Cassation vous offre-t-elle un monopole de part son arrêt ?
Joseph Pascual : Ce n'est pas un nouveau monopole. La loi du 7 mai 1946 nous a effectivement confié un monopole sous conditions. Selon moi, c'est la contrepartie d'une juste protection du droit de propriété, qui je le rappelle, est encadré par la constitution. Cet arrêt de la Cour de Cassation ne crée rien de nouveau, il ne fait que rappeler la législation en vigueur depuis 80 ans.
Batinfo : Les craintes concernant l'augmentation de vos prix avec cette situation de monopole sont donc infondées selon vous ?
Joseph Pascual : Étant donné que pour nous, la situation n'a pas changé et que la Cour de Cassation n'a fait que rappeler les dispositions de la loi de 1946, nos honoraires ne vont pas soudainement grimper. Suite à cet arrêté, j'ai fait réaliser un sondage auprès de 250 confrères et basé sur les copies de leurs relevés d'honoraires pour estimer le coût de la production d'un plan annexé à un état descriptif de division. Nous continuons d'alimenter cette base de données encore actuellement. Ce premier sondage fait ressortir que le coût moyen de la production d'un plan annexé à un état descriptif de division est de l'ordre de 400 euros TTC. Je tiens en outre à préciser que la profession des géomètres-experts est soumise à la concurrence et chaque géomètre-expert applique de ce fait son propre tarif.
Néanmoins, pour 400 euros TTC, nous apportons une garantie juridique forte : l'opposabilité des limites des biens fonciers et des droits attachés.
Batinfo : Certains pensaient que jusqu'à présent ces mesures étaient réalisables par tout type de professionnels de la mesure et que cet arrêté venait supprimer cette liberté, qu'en pensez-vous ?
Joseph Pascual : Selon le décret du 14 octobre 1955, qui définit la manière dont doit être identifiée un lot de copropriété, « Chaque fraction d'immeuble doit être identifié par son emplacement, lui-même déterminé par sa situation dans l'immeuble ou par référence à un plan ou à un croquis annexé à la minute de l'acte ». En s'appuyant sur ce décret, on pourrait penser que certains lots de copropriété ne seraient pas identifiés par un plan annexé à un état descriptif de division mais par une seule description littérale. Cependant, depuis la parution ce décret plus aucun notaire ne publie un règlement de copropriété avec un état descriptif de division sans plan annexé, car il en va de la garantie des limites du lot de copropriété et des droits attachés.
Batinfo : Selon vous, le niveau de qualité de la prestation et de garantie apporté par les géomètres-experts justifie donc techniquement et juridiquement ce monopole ?
Joseph Pascual : Pour moi, le niveau d'études et de formation que reçoivent les géomètres-experts ainsi que la présence grandissante de la technique et du droit dans nos activités justifient ce monopole. Plus la technique est présente, plus le besoin d'avoir des experts capables de qualifier juridiquement les données produites par les nouvelles technologies est important. Savoir contrôler et qualifier les données, tel est le rôle d'un géomètre-expert. Notre monopole se justifie par notre capacité à garantir les limites et les droits attachés d'un terrain ou d'un lot de copropriété. Cette décision de la Cour de Cassation garantit donc les droits de tous les propriétaires et rappelle qu'il n'existe pas de sous-propriétaires.