Due aux nombreuses interventions de Viollet-Le-Duc, Notre-Dame est souvent considérée comme un édifice essentiellement du XIXe siècle. Mais à Paris comme dans toutes les autres cathédrales : Amiens, Saint-Denis, Reims, Bayeux, Rouen, Clermont-Ferrand..., il aura toujours eu le souci de retrouver le meilleur d'une architecture gothique qu'il avait étudiée à fond.
La phrase la plus célèbre de cet architecte positiviste et déiste: "restaurer un édifice, ce n'est pas l'entretenir, le réparer ou le refaire, c'est le rétablir dans un état complet qui peut n'avoir jamais existé". Seule comptait pour lui l'idée originelle, que les bâtisseurs n'avaient pas eu le temps ou les moyens de réaliser.
Ainsi en restaurant la cathédrale d'Evreux, il fait établir des arcs-boutants à volée unique alors qu'ils étaient à double volée. A Rouen, il empêche l'achèvement d'une flèche en fonte.
C'est en 1840 que Prosper Mérimée, inspecteur général des monuments historiques, ouvre à cet artiste qui n'avait pas voulu faire les Beaux-Arts, ce qui lui vaudra d'être rejeté par nombre de collègues, une voie royale: la restauration de la basilique de Vézelay.
Il n'a que 26 ans et cette restauration fera de lui le plus grand du XIXe siècle. Trente-neuf ans plus tard, il meurt à Lausanne en pleine restauration de la cathédrale.
Moyen-Age romantique et idéalisé
Le projet Notre-Dame est lancé en 1844. La cathédrale est privée de flèche depuis 1792. Viollet-Le-Duc remporte avec Jean-Baptiste Antoine Lassus le concours d'architectes pour restaurer cet édifice plusieurs fois refait.
Contre le néoclassicisme, le gothique est alors l'expression d'un Moyen-Age romantique et idéalisé, qui recrée le roman national d'une nation divisée par la révolution.
Loin de clichés de l'époque qui l'accuseront d'irrespect, Viollet-le-Duc "ne voudra pas utiliser la technologie du moment mais réinventer la technologie médiévale en la portant plus avant", explique Jean-Michel Leniaud, auteur de "Viollet-le-Duc ou les délires du système".
Selon lui, "Viollet-le-Duc se distingue de son époque où l'on rajoutait volontiers du contemporain, du superflu" au patrimoine.
Il a corrigé dans Notre-Dame tout ce qui déparait l'ensemble gothique, comme le choeur de style classique rajouté sous Louis XIV.
L'architecte en chef Philippe Villeneuve, qui défend la reconstruction à l'identique, ne s'y est pas trompé: "la grande force du chef-d'oeuvre d'Eugène Viollet-Le-Duc est qu'il n'était pas datable. Il s'intégrait à un chef-d'oeuvre médiéval du XIIIe siècle".
Au service du gothique
Quand il restaure Notre-Dame, l'architecte procède à une réfection des sculptures et décors de la façade, du portail central, fondée sur une documentation iconographique, des restes sculptés, des descriptions écrites.
Il entend aussi reconstruire la flèche d'origine en s'appuyant sur une documentation graphique.
Mais le charpentier Auguste Bellu auquel il s'adresse va introduire deux nouveautés: il va disposer les douze apôtres autour des rampants.
Et élever la flèche à 93 mètres. "C'est le mariage d'une réflexion archéologique et d'une prouesse technique". Viollet-le-Duc s'incline: il n'y voit pas trahison des matériaux et intentions d'origine.
Cet homme de réseaux très élégant, fréquentant le beau monde, recevait dans son appartement en robe du bure du Moyen-Age. Chercheur, il "était habité par une pensée hyper-rationnelle" au service d'un "hyperromantisme qui dépasserait la réalité".
Viollet-le-Duc pensait aussi que "la matière porte son projet propre. Il avait une pensée biologique", "la flèche devant être la fleur de la plante qu'est la cathédrale". Il s'intéressait à l'art floral, végétal, en utilisant les techniques d'origine, ce qui ouvrira la voie à l'Art Nouveau.
Le classement entre "anciens" et "modernes" -qui domine le débat sur la restauration à l'identique ou non-- n'est pas pertinent pour cet architecte hors norme: Viollet-le-Duc demeure inclassable, ayant restitué dans son époque la virtuosité du gothique de sept siècles avant.