Quatorze ans après les premières plaintes, le juge d'instruction marseillais Valéry Muller a rendu mi-avril une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel (ORTC) dans ce dossier tentaculaire que l'AFP a pu consulter. Le procès devrait avoir lieu au printemps 2023.
Parmi les principaux prévenus figurent la société de gestion de patrimoine Apollonia basée à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), ses fondateurs : le couple Moussa-Jean Badache, un ancien commerçant de 67 ans, et sa femme Viviane, 65 ans, esthéticienne, ainsi que leur fils, Benjamin Heysen-Badache, 44 ans, qui fut un temps aux commandes de l'entreprise.
Sont également renvoyés en justice, l'avocat de l'entreprise, Me René Spadola, des commerciaux -- Rémy Suchan, François Mélis, Jean-Luc Puig et Amélie d'Almeida --, trois employés administratifs d'Apollonia chargés des relations avec les banques : Lynda Quintart, Fabienne Florentino et Holda Dahir ainsi que deux notaires -- Jean-Pierre Brines et Philippe Jourdeneaud.
Au début des années 2000, Apollonia connaissait un essor spectaculaire qui la conduisait à faire la une de journaux économiques. Son secret? Proposer à des clients aisés, principalement issus du milieu médical, des investissements immobiliers afin de se constituer un patrimoine pour leur retraite.
Apollonia proposait à ses prospects, par démarchage téléphonique, d'acquérir des lots de programmes immobiliers éligibles au dispositif des loueurs meublés professionnels (LMP) fiscalement avantageux.
Le mécanisme semblait d'autant plus attractif que "les effets combinés de ces avantages fiscaux et des revenus tirés de la mise en location des biens étaient censés", selon les promoteurs du projet, garantir aux clients "l'autofinancement des acquisitions leur permettant de se constituer, quasiment sans bourse délier, un important patrimoine à l'orée de leur retraite", résume le juge d'instruction.
"Mirage"
Mais le ticket d'entrée pour atteindre ce "Graal" était élevé, l'investisseur devant justifier de plus de 23.000 euros par an de son activité de loueur.
Un impératif qui a conduit à la multiplication des acquisitions pour des montants compris entre 800.000 et quatre millions d'euros par les investisseurs. Au final, des centaines d'entre eux ont accepté le deal. Aujourd'hui, 690 se sont constitués parties civiles.
Car, l'autofinancement promis "n'était qu'un mirage", souligne le juge dans son ordonnance. "Les déductions fiscales" promises "n'avaient qu'une portée limitée" et "la location au prix du marché ne permettait pas à elle seule de dégager suffisamment de trésorerie pour boucler l'autofinancement" allégué par rapport à des biens surévalués.
De plus, la multiplication des investissements se faisait sans considération de la capacité réelle d'endettement des investisseurs.
Un moment mises en cause, vingt-six banques partenaires de l'opération se sont constituées partie civile. Elles aussi auraient été flouées par des faux, des demandes de prêts signées en blanc par les clients et complétées par Apollonia qui ne les prévenait pas que d'autres prêts étaient en cours pour que "les dossiers passent". L'implication de notaires qui auraient rédigé des actes en pleine connaissance de cause a également été dénoncée.
Rassurés par les interventions de ces notaires qui ont procédé à l'acquisition de 3.316 lots pour 618 acheteurs et 650 millions d'euros d'investissement, mais aussi par celles d'un avocat et de grandes enseignes bancaires, les investisseurs ont cru Apollonia qui leur promettait de leur livrer un produit "clef en main".
Au final, de 2002 à 2010, la société aixoise aura procédé à la vente de 5.305 biens immobiliers pour près de 950 millions d'euros.
La commission de 15% (sur le prix de vente) perçue par les époux Badache leur a permis de mener grand train (utilisation d'avions privées, de Ferrari...) et d'accumuler un impressionnant patrimoine : une quarantaine d'appartements du dispositif LMP, une maison dans les Bouches-du-Rhône évaluée à 1,5 million d'euros ou encore un chalet de six millions d'euros en Suisse. Une partie de ces biens a été saisie.