Manifestations, écoles fermées et trains au compte-goutte: la France s'apprête à vivre une journée mouvementée. "Un jeudi de galère", comme l'a résumé le ministre des Transports, Clément Beaune. Mercredi, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a appelé à la sortie du conseil des ministres à ce que la mobilisation ne se transforme pas en "blocage" du pays.
La SNCF prévoit une circulation "très fortement perturbée" avec un TGV sur trois, voire un sur cinq selon les lignes, et à peine un TER sur dix en moyenne. Le métro parisien sera également réduit à l'essentiel, avec trois lignes fermées, dix autres ouvertes "uniquement aux heures de pointe" et un "risque de saturation" sur les trois dernières, selon la RATP.
Le ciel ne sera pas épargné, puisque 20% des vols devraient être annulés à l'aéroport d'Orly, où "des retards sont à prévoir" pour les liaisons maintenues, a prévenu la DGAC.
Ceux qui opteront pour la voiture pourront encore trouver du carburant, même si les raffineries et les dépôts pétroliers sont appelés à cesser leurs activités pendant 24 heures.
Beaucoup devront cependant garder leurs enfants, car 70% des enseignants du primaire seront en grève et de nombreuses écoles entièrement fermées – "au moins un tiers" à Paris - d'après leur principal syndicat, le Snuipp-FSU.
Dans le secondaire aussi, "on s'oriente vers une grève très suivie", indique le Snes-FSU. Des blocus de lycées sont notamment attendus, plusieurs organisations de jeunesse appelant à rallier la journée d'action organisée par les huit grandes centrales syndicales.
Quant à la mobilisation dans le privé, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, a anticipé sur France 2 "dans certains grands groupes, des taux de grévistes qui vont avoisiner les 60, 70%". Il a souhaité un mouvement reconductible "partout où c'est possible".
Voix discordantes
Unis pour la première fois depuis douze ans, les syndicats prévoient des rassemblements dans 215 villes selon la CGT, 221 selon les autorités et même 250 selon Solidaires, et espèrent une mobilisation "massive" dépassant "le million" de manifestants. Une jauge symbolique qui donnerait de l'élan à un mouvement social appelé à s'inscrire dans la durée.
La police met sans surprise la barre moins haut: des sources sécuritaires tablent sur une fourchette de 550.000 à 750.000 manifestants, dont 50.000 à 80.000 dans la capitale, mais aussi 25.000 à Marseille, 20.000 à Toulouse ou Lyon...
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé que plus de 10.000 policiers et gendarmes seraient mobilisés, dont 3.500 à Paris, où les autorités s'attendent à la venue de quelques centaines d'éléments violents. Elles anticipent aussi la participation de manifestants d'ultragauche dans certaines villes, comme Rennes ou Nantes.
Face à cette large contestation, le gouvernement s'emploie à défendre sa réforme, à l'image de la Première ministre, Elisabeth Borne, vantant à l'Assemblée nationale "un projet de justice" et affirmant que "quatre Français sur dix, les plus fragiles, les plus modestes, ceux qui ont des métiers difficiles, pourront partir avant 64 ans".
Ou de son ministre du Travail, Olivier Dussopt, prenant le relais dans l'Hémicycle pour promouvoir la hausse des petites pensions - "nous protégeons le pouvoir d'achat des plus âgés" - clé d'un accord politique avec la droite.
Des arguments qui peinent à convaincre l'opinion, que les sondages montrent toujours majoritairement opposée au report de l'âge légal.
Côté politique, les leaders de l'opposition de gauche ont affiché leur unité mardi soir, exhortant leurs troupes à "faire trembler les murs de l'Elysée".
A l'autre extrémité du spectre politique, le député Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, a indiqué qu'il participerait "pour la première fois à une manifestation à l'initiative des organisations syndicales".
Même au sein de la majorité, des voix discordantes s'élèvent, comme celle du député Patrick Vignal: "Si ça n'évolue pas, je ne voterai pas cette loi". Sa collègue Barbara Pompili non plus ne "pourrai(t) pas voter pour", car "à ce stade" le projet comporte trop d'"injustices sociales".