Numériquement, les avancées sont là, avec 200.000 places d'hébergement à disposition, dont 150.000 dédiées à l'hébergement d'urgence. Le gouvernent va en effet maintenir ouvertes jusqu'à fin mars 2022 les 43.000 places d'hébergement d'urgence créées depuis le premier confinement en mars 2020. Une manière de mettre fin à la "gestion au thermomètre", et qui va coûter 700 millions d'euros et porter le budget annuel consacré à l'hébergement d'urgence à 2,9 milliards, selon le ministère du logement.
"Cette décision est neuve et positive, mais cela suppose une vigilance constante" pour maintenir le volume de places à 200.000 qui reste "un minimum", estime Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS, regroupant les gestionnaires de 80% des centres d'hébergement).
Conserver les 70.000 places d'urgence en hôtel est notamment l'un des défis. Autant le confinement, avec l'arrêt du tourisme et des déplacements commerciaux, avait rendu les hôtels plus enclins à louer à un public défavorisé, même à prix cassés (environ 25 euros la nuitée), autant "c'est plus compliqué aujourd'hui pour les hôtels de mélanger les clientèles", relève Alain Christnacht, président du SamuSocial de Paris. "Jusqu'à présent avec l'aide des préfets et de la région, on est arrivé à remplacer les places, mais nous n'avons pas de certitude que cela puisse durer", explique-t-il.
La situation reste donc fragile à en croire le regain actuel d'appels au 115, le numéro d'urgence pour les sans abris, de l'ordre de 400 personnes par jour dont "certaines demandes restent non pourvues", selon M. Christnacht.
Or, le taux d'occupation de toutes les places d'hébergement est déjà de 100 %", selon le ministère du Logement.
Craintes pour le printemps
"Que va-t-il se passer après la trêve? Le contexte est assez préoccupant et il faut mettre le paquet pour éviter une catastrophe sociale" au printemps, avertit le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, Christophe Robert.
Selon le ministère, du 1er janvier 2018 au 30 juin 2021, le programme "Logement d'abord" a permis à 280.000 personnes sans domicile fixe, à la rue ou en centre d'hébergement, d'accéder au logement. En termes de logement d'urgence, l'objectif est par ailleurs d'arriver à 190.000 places fin 2022 avec consigne aux préfets de planifier cette décélération pour éviter les expulsions sèches, c'est-à-dire sans relogement pérenne.
Mais comment anticiper les effets de la hausse des factures d'énergie, de la baisse des APL, de la réforme de l'assurance chômage et du poids grandissant du loyer dans le budget des ménages moyens? Les expulsions non effectuées du fait de la prolongation de la trêve risquent également de faire gonfler le nombre de sans-abri après mars, redoutent les organismes interrogés.
A titre d'exemple, 2 millions de repas à 1 euro ont été distribués dans les restaurants universitaires pour le seul mois de septembre. Cette précarisation frappe l'ensemble des jeunes, souligne Tommy Veyrat de l'Union nationale des Comités Locaux pour le Logement Autonome des Jeunes.
Outre une hausse du nombre de logements sociaux, conditions sine qua non pour sortir d'une gestion au coup par coup, la Fondation Abbé Pierre propose donc de mettre à profit le "répit" de la trêve pour renforcer le modèle de prévention, l'anticipation des effets de la crise économique et l'accompagnement juridique et social des familles et ce afin de limiter les expulsions le printemps venu.
La FAS plaide pour sa part pour une loi de programmation pluriannuelle intégrant l'hébergement d'urgence et le programme "Logement d'abord". Ce à quoi la ministre Emmanuelle Wargon se dit "très favorable".