En quoi la France est-elle exposée ?
"Les inondations sont le premier risque naturel en France, pays très inondable car doté d'un maillage important de cours d'eau et historiquement construit autour de l'eau", rappelle Stéphanie Bidault, du Cepri, centre de ressources dédié à ce risque, pour laquelle il faudrait cesser de nier cette vulnérabilité, pour mieux y parer.
En France, 17 millions de personnes peuvent être concernées par des débordements, 1,4 million par des submersions marines. Si l'on inclut les phénomènes de ruissellement, cela fait 70% des communes soumises à un risque d'inondations.
Événements rapides dans le sud, crues torrentielles sur les reliefs, débordements lents, remontées de nappes... L'Etat a identifié 122 territoires prioritaires, mais toutes les métropoles sont concernées, partout en France, dit Mme Bidault.
En termes d'impact, la crue du printemps 2016 en Île-de-France, par exemple, a causé plus d'un milliard d'euros de dégâts. Selon l'OCDE, une crue comme celle de 1910 engendrerait 3 à 30 mds de dommages directs.
Des facteurs aggravants ?
"Pendant un temps, il y a eu une forme de laxisme, car on a beaucoup construit en zones inondables et on n'a pas gardé la mémoire des lieux et événements météorologiques", souligne le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot.
Toutefois, aujourd'hui, "exproprier tous les gens en zone inondable ce n'est pas possible!", note Mme Bidault.
Selon elle, l'artificialisation des sols a "un gros impact" sur les phénomènes de ruissellement.
Mais pas vraiment sur la crue actuelle, estime Vazken Andreassian, hydrologue à l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement (Irstea): "l'imperméabilisation des sols" joue peu ici, car les sols gorgés par les pluies n'absorbent pas plus d'eau que des sols bétonnés.
Comment se prémunit-on ?
"Depuis le Moyen Âge, Colbert et les digues de la Loire... on a cru qu'on pouvait se protéger et se développer en construisant barrages et ouvrages. On pensait que l'homme était plus fort de la nature", note la responsable du Cepri.
Ça a commencé à changer dans les années 1980, souvent au fil d'événements majeurs, avec la mise en place de plans. Un "mix" de mesures : ouvrages (digues, bassins de rétention d'eau, déversoirs...), information de la population, gestion de crise (exercices...).
"On s'est beaucoup amélioré dans l'alerte", selon Nicolas Hulot. Mais "on ne sera jamais en capacité de complètement juguler les conséquences. On peut prendre des mesures (...), mais faire la promesse qu'il n'y aura plus jamais d'inondations, non."
Pour autant, on pourrait faire mieux en termes de gouvernance ou de financements. Par exemple, en Île-de-France, la prise en compte du risque inondation dans les politiques d'urbanisme reste "limitée", estimait cette semaine l'OCDE, qui pointe aussi l'absence d'une "stratégie de financement à la hauteur des enjeux économiques concernés".
Comment faire mieux ?
Mieux informer les citoyens, notamment des hauteurs d'eau susceptibles de les concerner, et pour cela affiner les connaissances : les habitants s'organiseraient alors mieux, utiliseraient des matériaux différents, rehausseraient les systèmes électriques...
Anticiper aussi sur l'habitat et les infrastructures pour ne pas forcément reconstruire à l'identique, après une crue dévastatrice. C'est le sens du plan "résilience" de Paris, destiné à préparer la ville au risque, notamment, de retour d'une crue centennale.
Pour empêcher une crue telle que celle qui touche la région parisienne actuellement, concrètement, "il faudrait un réservoir de stockage gigantesque pas loin de Paris", estime Vazken Andreassian.
Quatre lacs-réservoirs régulent le bassin de la Seine, mais ils étaient déjà presque pleins vendredi. Et ils sont à "une semaine de route hydraulique" de Paris (l'eau qu'ils relâchent met une semaine à atteindre Paris) ce qui rend leur gestion "peu souple", ajoute-t-il.
Autre hypothèse, "inonder des zones rurales en amont de Paris", pour protéger la capitale: économiquement justifiable, mais difficilement acceptable socialement, reconnaît l'hydrologue.
Pour Marc Barra, écologue à l'Agence pour la biodiversité d'Île-de-France, des mesures structurelles pourraient limiter l'impact. "L'agriculture intensive a pour conséquence d'affaiblir les sols (...), qui captent moins d'eau et ont une part de responsabilité dans l'accélération des inondations", note-t-il. En plaidant également pour la végétalisation des villes : espaces verts ou toitures végétalisées permettent notamment de stocker de l'eau.
Chercher des solutions dans la nature ?
Toutes les solutions sont dans la nature... La Compagnie nationale du Rhône (CNR), concessionnaire du fleuve, expérimente dans son laboratoire de Lyon un procédé de renforcement des digues utilisant des bactéries et leurs propriétés chimiques.
Le biomimétisme - ingénierie qui s'inspire du vivant - est au coeur du projet Boréal (pour Biorenforcement des ouvrages en remblais) développé au Centre d'analyse comportementale des ouvrages hydrauliques (CACOH), sur le Port Edouard-Herriot au bord du Rhône.
La bactérie utilisée - "sporosarcina pasteurii" - a en effet la capacité naturelle de créer des cristaux de calcite pouvant agglomérer des grains de sable. Ce procédé est déjà utilisé dans le BTP par la société Soletanche Bachy, partenaire du projet.
Mais pour l'appliquer au renforcement des digues, et pallier notamment le phénomène d'érosion interne, il a fallu "lever le verrou" de son utilisation dans le domaine de l'hydraulique, une première mondiale, souligne Aurélie Garandet, ingénieure à la CNR.
Au sein du CACOH, un coeur de digue a été modélisé sur 8 mètres de longueur, 4 mètres de largeur et plus de 2 mètres de haut. "Cela nous permet de nous retrouver dans les conditions d'un chantier réel", explique Annette Esnault, cheffe de projet chez Soletanche Bachy.
Les bactéries, additionnées d'une solution calcifiante, ont été injectées dans différents matériaux et en seulement quelques jours, elles ont formé dans du sable un bloc d'environ deux mètres de diamètre. Selon Mme Garandet, elles pourraient remplacer à l'avenir le ciment et les résines injectées actuellement pour renforcer les digues, avec "l'avantage de conserver la porosité des sols pour permettre aux nappes phréatiques de circuler".
Pour un autre projet concernant la Loire, ce même laboratoire a reproduit à l'échelle 1/100e deux bras du fleuve et le pont de Bellevue près de Nantes, soit une maquette de 35 mètres de long. Face au phénomène de baisse de niveau du cours d'eau, il est envisagé de construire un ouvrage destiné à en ralentir l'écoulement et donc le charriage du sable, qui creuse le lit.
Grâce à cette maquette, les ingénieurs reproduisent l'écoulement de l'eau et étudient le comportement des grains de sable, remplacés pour l'expérience par des grains de plastique. "Une journée sur site représente une minute en laboratoire", estime l'ingénieur Damien Alliau, de la CNR.
"Notre expertise nous permet de travailler sur des ouvrages très ambitieux", se félicite Laurence Duchesne, responsable du CACOH, qui intervient aussi dans des projets internationaux comme les nouvelles écluses du canal de Panama ou le barrage d'Itaipu au Brésil. Créé en 1936, il emploie 50 personnes.