Privé d'un vote de l'Assemblée nationale par l'obstruction des députés de La France insoumise, l'exécutif table sur le Sénat pour conférer une légitimité démocratique à une réforme dont deux-tiers des Français (66%) ne veulent pas, d'après un sondage Odoxa.
La prochaine journée de mobilisation, le 7 mars, s'annonce très suivie et l'ensemble des syndicats de la SNCF appellent à une grève reconductible à partir de cette date.
En attendant, le Sénat, réputé pour son climat feutré qui pourrait trancher avec les vives tensions qu'a connu l'Assemblée nationale, débute ce mardi à partir de 14H30 l'examen du texte à huis clos, en commission. Les sénateurs se retrouveront ensuite, jeudi, pour le coup d'envoi des débats dans l'hémicycle.
L'exécutif a multiplié ces derniers jours les gestes d'ouverture à l'égard de la majorité sénatoriale. "Je souhaite que le Sénat puisse enrichir" le texte, a déclaré samedi Emmanuel Macron dans les travées du Salon de l'agriculture.
"On va écouter les propositions du Sénat et on va trouver un chemin ensemble", a abondé lundi Elisabeth Borne, dont la cote de popularité accuse une nouvelle baisse de deux points en février à 29%, selon le sondage Odoxa.
La cheffe du gouvernement se dit prête, mardi dans le magazine Elle, à étudier "des bonifications" salariales pour les femmes "avant le troisième enfant", une nouvelle main tendue aux Républicains.
La politique familiale est un des enjeux du vote LR. Dans un entretien, lundi, à l'AFP, le président des sénateurs du groupe, Bruno Retailleau, propose notamment "une surcote de 5%" pour les mères de famille qui auraient une carrière complète.
"Pas de surenchère"
"On ne sera pas dans la surenchère", assure le sénateur de Vendée, alors que le gouvernement a eu fort à faire avec les députés LR, notamment Aurélien Pradié, démis depuis de ses fonctions de numéro 2 des Républicains.
Cela n'empêche pas le député du Lot de rester très virulent contre son parti qu'il a accusé, mardi sur France Inter, d'être "un complice du gouvernement" dans le débat sur les retraites.
La droite sénatoriale peut difficilement se déjuger en ne votant pas une réforme qu'elle appelle de ses voeux depuis plusieurs années. Mais elle entend bien formaliser ses propres propositions.
Bruno Retailleau a d'ailleurs annoncé sur CNews revoir la Première ministre mercredi avec Gérard Larcher, le président LR du Sénat.
Les députés, empêtrés dans des débats houleux ponctués d'incidents de séance à répétition, n'ont pu examiner entièrement que deux des vingt articles du texte en deux semaines.
C'est donc sur le texte du gouvernement, à peine modifié, que va plancher la commission des Affaires sociales du Sénat, sous la houlette de sa rapporteure générale Elisabeth Doineau, centriste Macron-compatible, et du rapporteur de la branche Vieillesse René-Paul Savary, le "M. Retraite" du groupe LR.
"CDI seniors"
Seuls seront examinés mardi les amendements des rapporteurs.
LR et centristes reconnaissent des "différences" entre eux sur certains sujets, comme les carrières longues ou les régimes spéciaux de retraite, mais sont confiants dans leur capacité à "les surmonter".
Outre un aménagement en faveur des mères de famille, la majorité sénatoriale devrait proposer un CDI nouvelle formule pour faciliter l'embauche des seniors, afin de leur permettre d'atteindre une carrière complète.
Le Sénat a "une vraie carte à jouer" par rapport à l'Assemblée nationale en se montrant comme "un contrepouvoir responsable et respectueux des sensibilités", souligne-t-on du côté du Petit Luxembourg.
Mais, forte de près d'une centaine de sénateurs, la gauche compte bien faire entendre son opposition. Les trois groupes - PS, CRCE à majorité communiste et écologiste - présenteront ensemble leur stratégie mercredi.
"Nous souhaitons que les 20 articles de la loi soient traités", a affirmé le chef de file socialiste Patrick Kanner dans une interview aux Echos dimanche.
L'alliance de gauche Nupes continue de mutiplier les meetings. "On lâche rien, on est là", ont scandé lundi soir les militants à Amiens.
Dans la rue, le bras de fer va se durcir. L'intersyndicale a appelé "à se saisir du 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, pour dénoncer partout l'injustice sociale majeure de cette réforme des retraites envers les femmes".
Au Sénat, les débats prendront fin le dimanche 12 mars. Si à minuit, les sénateurs n'ont pas voté l'ensemble du texte, il sera quand même transmis en commission mixte paritaire, qui rassemble sept députés et sept sénateurs.