Rien ne distingue a priori ce bâtiment cubique blanc flambant neuf, aux logements "entièrement modulables", de ses voisins.
"Ce qui rend le bâtiment évolutif est invisible, mais c'est la première opération dans l'habitat à ce point évolutive en France", assure Florent Lemaire, directeur exécutif d'Arkéa Flex, filiale du Crédit Mutuel Arkéa, qui a breveté le concept.
Conçue comme un immeuble de bureaux, la copropriété comporte de grands plateaux à chaque étage, sans mur porteur intérieur, des cloisons acoustiques et un plancher technique où passent fluides et fils électriques.
"Ça veut dire qu'on peut disposer les points d'eau où l'on veut, et transformer une chambre en studio indépendant, une cuisine en chambre ou en salle de bains, et ce pendant toute la durée de vie du bâtiment", précise M. Lemaire.
Des emplacements de portes palières et de trémies d'escalier permettent de réunir ou diviser les appartements, tels des Lego, au gré des besoins, tandis qu'en toiture, des portions de terrasses peuvent s'échanger entre propriétaires.
Avec un "surcoût technique" de seulement 25 euros hors taxes le mètre carré contre "100 euros dans les premières versions", les concepteurs espèrent développer leur concept à l'échelle industrielle.
"Ce projet a été décidé sous la précédente mandature mais nous trouvons le concept intéressant", reconnaît Cathy Savourey, adjointe à l'urbanisme à la mairie de Tours, rappelant que la Ville impose maintenant aux promoteurs "d'intégrer dès le départ dans leurs opérations la possibilité de transformer un parking à étages en bureaux ou en logements".
"Ce qui est important, c'est de voir si dans dix ans certains propriétaires auront mobilisé le concept et transformé leur logement", ajoute-t-elle.
"Déménager chez soi"
Certains promoteurs ont déjà intégré depuis plusieurs années dans leur ADN l'architecture "réversible", qui permet de modifier l'usage d'un bâtiment.
C'est le cas d'OGIC, qui a transformé des prisons, des hôpitaux voire un château d'eau en bureaux, commerces et logements, et commercialise des appartements assortis "d'une pièce baladeuse" susceptible d'être achetée ou vendue.
Pour le neuf, le Premier ministre Gabriel Attal a promis mercredi des "permis de construire réversibles".
"Les immeubles haussmanniens peuvent accueillir commerces et bureaux. Ils sont déjà beaucoup plus évolutifs que certains immeubles récents", souligne Sébastien Le Goascoz, président d'Arkéa Flex, désireux de "poursuivre le concept" du baron.
Le groupe vise notamment le marché des bailleurs sociaux, "où 45% des logements sont sous-occupés alors qu'il y a 2,6 millions de demandes".
En concevant un bâtiment "évolutif" dès sa construction, l'objectif est aussi de réduire au maximum le coût de sa transformation future pour éviter la démolition et diminuer l'empreinte carbone, dans un secteur qui représente déjà 18% des émissions de gaz à effet de serre.
Une résidence étudiante pourrait ainsi se transformer en résidence seniors puis en logement familial.
"Les solutions pour faire du logement flexible sont connues, mais le concept était un peu tombé dans l'oubli", se remémore l'architecte Sabri Bendimérad, pour qui l'idée de "déménager chez soi est revenue en force avec le Covid, lorsque les gens ont voulu pousser les murs".
"Il y a une telle tension aujourd'hui sur le marché que personne ne veut plus déménager alors même qu'il y a beaucoup de recompositions à l'intérieur des familles", analyse le sociologue Yankel Fijalkow, chercheur au Centre de recherche sur l'habitat.
Pour Antoine Desbarrières, directeur de l'association Qualitel, qui promeut la qualité du logement, l'habitat modulaire répond de fait "pleinement aux aspirations sociales et à l'enjeu d'une construction bas carbone, même si avoir une salle d'eau au-dessus d'une chambre pose des difficultés techniques de confort acoustique".
"Le concept doit encore trouver sa clientèle", poursuit-il, "ce qui suppose sans doute aussi une évolution des mentalités".