Les PIB "verts"
Dès 1972, les économistes William Nordhaus et James Tobin proposent un calcul de la croissance qui prendrait également en compte notamment le travail non rémunéré, le temps de loisir et les effets négatifs de l'urbanisation sur l'environnement ("disamenities of urbanisation") dans un indicateur qu'ils nomment Mesure du bien-être économique (MBE).
En 2006, la Banque mondiale conçoit le principe de l'"épargne nette ajustée". Calculée pour 120 pays et régulièrement mise à jour, elle ajoute à l'épargne nette nationale les dépenses en éducation et lui soustrait l'épuisement en énergie, en minéraux et en ressources forestières, et les dommages causés par le dioxyde de carbone et les émissions de particules.
L'ONU a proposé au Sommet de Rio en 2012, son "Indicateur global de richesses" (IGR), qui cumule capital économique, social et naturel.
Pour Richard Black, directeur du groupe de réflexion Energy and Climate Intelligence Unit, "l'un des problèmes avec tous les indicateurs alternatifs, c'est qu'il y en a tellement".
"Le PIB est un concept très simple", estime l'analyste. "Mais à partir du moment où on dit qu'il doit inclure les émissions de carbone, quelqu'un d'autre peut estimer qu'il devrait d'abord inclure les ressources naturelles. Rapidement, ça devient une conversation très académique. Il y a toujours quelque chose en plus qu'il faudrait pouvoir prendre en compte".
Tableau de bord
En France, une commission présidée par le Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz planche en 2008 pour "déterminer les limites du PIB en tant qu'indicateur des performances économiques et du progrès social".
"La Commission a fait valoir que ce serait une erreur d'essayer d'avoir une mesure unique qui englobe tout, rappelle M. Stiglitz. Nous avons plaidé pour un tableau de bord".
Le rapport reproche notamment aux PIB "verts" de permettre de compenser par exemple des émissions de CO² par le fait d'investir dans des machines qui en produisent davantage. Il préconise l'utilisation d'un indicateur monétaire relatif à la soutenabilité économique, flanqué de diverses mesures physiques de l'impact environnemental.
Emissions carbone
Parmi ces mesures, les émissions de carbone constituent un facteur important.
Elles présentent cependant le risque de minimiser les dégâts sur l'environnement, selon l'économiste spécialiste des indicateurs Florence Jany-Catrice, puisqu'un pays peut être bien classé "en exportant par exemple une partie de sa pollution dans d'autres pays. C'est le cas de la France: on est bons en termes d'émissions mais pas en termes d'empreinte".
Pour empêcher cela, estime pour sa part John Ferguson, analyste à l'Economist intelligence Unit, "nous avons besoin de beaucoup plus de données sur les émissions de carbone, en particulier tout au long de la chaîne d'approvisionnement".
La difficulté de tels outils réside dans leur aspect prédictif. "La statistique économique habituelle, c'est mesurer le présent", explique Didier Blanchet, directeur des études et synthèses économiques de l'Insee. "Quand on parle des dommages futurs de la tonne de CO2 émise, c'est monstrueux, on ne peut que construire des hypothèses".
A l'Insee, les indicateurs physiques liés à la soutenabilité ont été "bien renforcés" durant la décennie qui a suivi le rapport, poursuit Didier Blanchet, "mais on bute toujours sur la question de la conversion en équivalent monétaire qu'on pourrait +brancher+ sur les chiffres de la comptabilité nationale". C'est-à-dire sur l'incontournable PIB, qui mesure la richesse créée en l'espace d'une année.
Dette climatique
Instrument prédictif aussi mais moins complexe, l'idée de dette climatique étudiée par l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) par rapport aux ambitions des Accords de Paris.
"On s'est engagés à respecter zéro émission nette en 2050", développe Didier Blanchet. "Compte tenu de l'état des connaissances et de ce qu'on sait des coûts et techniques de décarbonation, on peut chiffrer que respecter cet objectif va nous coûter en cumulé une année de PIB environ".
Empreinte écologique
Explicitement fondé sur la notion de soutenabilité et vulgarisé aujourd'hui par le WWF, le concept d'empreinte écologique mesure la surface nécessaire pour produire ce que nous consommons et absorber nos déchets.
Il permet également de calculer le jour du dépassement, celui à partir duquel toute la ressource environnementale est consommée. Cette date, qui était tombée le 29 juillet en 2019, sera repoussée de trois semaines cette année grâce au confinement.
"Malgré ses problèmes méthodologiques, c'est un instrument pédagogique absolument essentiel", estime Florence Jany-Catrice, co-fondatrice du Forum pour d'autres indicateurs de richesse (FAIR). Pour elle, l'un des enjeux majeurs est celui des "irréversibilités", des points de non-retour dans la destruction de l'environnement.
"Il n'y a pas d'indicateur magique qui va permettre de régler cette question", avertit-elle.