Entre les célèbres places de la Bastille et de la Nation, la rue du faubourg Saint-Antoine flambant neuve compte désormais une large (2 m) piste cyclable de chaque côté, séparée du reste de la chaussée par une bordure en pierre.
Le calme qui en découle est un "bonheur absolu" pour Douchka, 39 ans, serveuse du Café Pierre qui a souffert des travaux. Mi-septembre, alors que les terrasses étaient pleines ailleurs, le bruit des marteaux-piqueurs lui donnait "l'impression d'avoir un aéroport dans la tête", et le bistro perdait "pas mal de monde".
Sur l'autre trottoir, le Bidule n'a souffert du bruit "que quelques jours en septembre", dit Vincent, son responsable. "Mais après, c'est nous qui allons morfler", craint-il en désignant la rue perpendiculaire dans laquelle les blocs de béton, synonymes de piste cyclable provisoire, laissent deviner un futur chantier.
"Montée en puissance"
Avenue de la République, les travaux ont débuté et ceux de l'axe gare Saint-Lazare - Porte de Saint-Ouen ne devraient pas tarder: avec les 80 millions d'euros provisionnés par David Belliard, l'adjoint (EELV) à la transformation de l'espace public, pour la pérennisation des pistes provisoires, "on va avoir beaucoup de chantiers vélo en même temps d'ici 2024", anticipe Jacques Baudrier (PCF), son collègue chargé de la construction publique.
"La montée en puissance des chantiers, c'est en ce moment, début 2022 ils seront beaucoup plus importants", insiste l'élu communiste en réponse aux associations de cyclistes qui auraient aimé, comme Jean-Sébastien Catier, président de Paris en selle, "que ça embraye un peu plus rapidement après l'élection" municipale de juin 2020.
C'est à cette période que les coronapistes, créées dès le début de la crise sanitaire pour désengorger les transports en commun, surgissaient presque du jour au lendemain dans la capitale. Depuis, "il ne s'est pas passé grand-chose en termes de travaux", déplore M. Catier.
M. Baudrier rétorque que "les pistes provisoires ont été installées jusqu'à fin 2020" et 2021 a servi à attribuer les appels d'offre avec "des lots beaucoup plus importants" pour les entreprises retenues. Et que l'augmentation en moyens humains de la mission aménagement cyclable (Macy), forte d'une dizaine d'agents, permet déjà d'aller plus vite.
"Pour se mettre au vélo, les Parisiens n'attendaient que la création d'aménagements sécurisés", estime la mairie. David Belliard présentera jeudi en conseil municipal le plan vélo pour la mandature (2021-2026), doté de 250 millions d'euros, soit bien plus que le précédent (environ 150 millions), pour faire de la capitale "une ville 100% cyclable".
En 1995, 5 petits kilomètres
Selon la mairie, l'Ile-de-France compte actuellement environ 800.000 déplacements cyclistes par jour, et la part des déplacements à vélo dans la capitale s'élève désormais à 5,6%, quand celle de la voiture individuelle ne représente plus qu'environ 9%.
Et dans un rapport d'avril 2020, l'Ademe prévoit une explosion de la pratique entre 20 et 28% à l'horizon 2030... une révolution en l'espace d'un quart de siècle, au cours duquel la Ville Lumière est passée de 5 km de voies cyclables à près de 1.100!
Comme la grève de 1995, lorsque "les gens se sont mis à faire du vélo" faute de transports en commun, la crise sanitaire a donné "un coup d'accélérateur" à cette "tendance de fond", souligne Patricia Pelloux, directrice adjointe de l'Apur, l'agence d'urbanisme sur laquelle s'appuie la Ville.
Les coronapistes ne font pas que des heureux. Ainsi, le maire (LR) du XVe arrondissement, Philippe Goujon, estime que depuis l'aménagement d'une piste "au mois d'août sans prévenir les habitants", la rue Vaugirard "vit un enfer", avec des "conflits d'usage à tous les carrefours".
Alexis Frémeaux, président de l'association Mieux se déplacer à bicyclette, relativise: si "ces coronapistes ont été très utiles, elles ont été faites rapidement et on voit bien qu'elles ont certains défauts". Pour ce cycliste, "la pérennisation va permettre d'améliorer la visibilité et le confort pour tous les usagers, cyclistes et autres".