"Ce n'est pas de la négociation si on apprend les choses dans les journaux", proteste Pascale Coton. L'émissaire de la CFTC a, comme tous ses homologues, découvert les premiers arbitrages de l'exécutif lundi soir dans l'interview d'Olivier Dussopt aux Échos.
Fermeture de certains régimes spéciaux (EDF, RATP), retraite minimum "autour de 85% du Smic" pour une carrière complète donc "au-delà des 1.100 euros" promis: le ministre du Travail a défloré le deuxième cycle de la concertation sur la réforme des retraites, qui s'est officiellement ouvert mardi.
Premier reçu par son cabinet, Dominique Corona (Unsa) trouve la méthode "assez hallucinante" mais y voit le signe que le gouvernement "prépare l'opinion publique". Tandis que dans le secret des tractations, "ils ne disent rien", regrette-t-il.
"On est beaucoup dans de la communication", relève aussi Michel Beaugas (FO), qui juge "quand même assez particuliers" ces pourparlers où "le ministre annonce ses choix dans la presse et on n'a plus qu'à s'aligner".
Un procédé déjà utilisé début octobre pour déblayer le terrain avant un premier cycle d'entretiens bilatéraux. M. Dussopt avait alors avancé quelques propositions sur l'emploi des seniors dans un entretien au Journal du dimanche.
Des pistes travaillées pendant un mois avec les partenaires sociaux, qui ont reçu la semaine dernière un "relevé de discussions" en guise de bilan d'étape. Mais ce document ne mentionne pas le relèvement de l'âge de départ pour les "carrières longues", qui peuvent aujourd'hui liquider leurs droits à 60, voire 58 ans.
"Carrières super longues"
Or le ministre y fait clairement allusion dans son interview aux Échos. "Quand on décale l'âge d'ouverture des droits, il est logique que les paliers soient décalés d'autant", affirme-t-il, entérinant le report de l'âge légal de 62 à 64 voire 65 ans tout en annonçant une exception pour les carrière "super longues" commencées avant l'âge de 16 ans.
De quoi intriguer Pascale Coton de la CFTC, car "les carrières super longues, ça n'existe pas, c'est une expression", qui augure toutefois d'une réforme du dispositif existant. "On ne souhaite pas y toucher", dit-elle, inquiète à l'idée de "faire travailler ceux qui commencent à 17 ans jusqu'à 62 ans".
Le sujet ultrasensible de l'âge de départ n'a pourtant pas encore été abordé avec les syndicats et doit faire l'objet d'un troisième cycle de concertation début décembre.
"Olivier Dussopt dialogue, travaille, approfondit les différents points pour construire (...) une réforme juste, qui tienne compte de la diversité des vies professionnelles", a assuré mardi à l'Assemblée Élisabeth Borne, en réponse à une question de la cheffe de file des députés LFI, Mathilde Panot.
"Nous allons devoir progressivement travailler un peu plus longtemps", a ajouté la Première ministre. Mais "ce décalage de l'âge permettra une augmentation des pensions, on ne travaillera pas davantage pour rien".
Sur l'allongement de la durée de cotisation, l'exécutif devrait pouvoir compter sur le soutien du patronat. Éric Chevée (CPME) demande cependant une égalité de traitement: "Si on demande aux salariés du privé de travailler trois ans de plus, il faut que ceux qui sont dans les régimes spéciaux travaillent trois ans de plus également".
Pour Gérard Mardiné (CFE-CGC), "le gouvernement cherche à faire travailler les gens jusqu'à 65 ans sans s'interroger sur les causes qui expliquent qu'ils ne sont plus en emploi" en fin de carrière.
Les échanges sont censés s'achever juste avant les vacances de Noël, ce qui n'arrange pas des syndicats conscients de la difficulté de remobiliser après la trêve des confiseurs.
"Ça ne va pas se traiter en un mois. On voit bien que le gouvernement veut faire une réforme dogmatique", dénonce M. Mardiné. "Quand on aura usé le temps de la concertation, nous serons prêts à mobiliser", assure de son côté M. Beaugas (FO).