Le barrage de Malpasset vient de céder, lâchant dans la vallée du Reyran 50 millions de m3 d'eau qui balaient tout jusqu'à la mer en 25 minutes, faisant 423 morts, dont 135 enfants.
L'immense vague de 50 mètres de haut, charriant du béton, des arbres et de la terre, contourne le promontoire sur lequel la vieille ville de Fréjus est bâtie, mais alentour c'est la désolation: habitations et fermes rasées, réseaux d'eau, électricité, téléphone détruits.
De premiers témoignages recueillis par l'AFP à l'époque décrivent un bruit de tonnerre semblable à une escadrille d'avions volant à basse altitude.
"Je n'étais pas encore couchée lorsque j'ai entendu un terrible grondement qui allait en s'accentuant", relate le lendemain la femme du garde-barrière. "J'allais aussitôt réveiller mon mari en criant: +c'est la mer qui monte+. En quelques secondes, les flots déchainés faisaient irruption dans notre maison qui, par miracle, résistait à leur violence".
Deux cents mètres après le passage à niveau, le train Marseille-Nice s'est immobilisé sur la seule portion de voie ferrée que le flot n'a pas emportée.
Sur la route voisine, le toit d'une automobile émerge d'un lac de boue. Le conducteur a été retrouvé sur un arbre et sauvé, mais sa femme et son enfant ont disparu.
Familles décimées
Sans attendre la Marine nationale et ses importants moyens, un groupe d'amis a participé aux premiers sauvetages. Avec un pédalo de plage, ils ont secouru sept personnes et repêché un cadavre.
Sur les bords du Reyran, quinze personnes dont deux enfants ont été sauvées sur le toit de la maison du "Moulin brûlé", où elles ont passé la nuit dans l'angoisse que le bâtiment s'effondre.
A la tombée de la nuit, un reporter de l'AFP décrit le village de Puget-sur-Argens à Fréjus, comme un paysage de désolation: le sol est recouvert d'une boue gluante, toutes les fermes ont été détruites, des blocs de pierre ont tout arraché.
La municipalité de Fréjus, alors dirigée par André Léotard, a transformé l'école des filles en dortoir où arrivent sans arrêt des rescapés transis et hébétés. L'école des garçons abrite corps et cercueils.
Le 4, le quartier de la gare et les bas quartiers de Fréjus ne sont plus qu'un vaste champ de bataille, où s'entassent des débris de maisons, des wagons renversés, des véhicules roues en l'air. Dans l'église, les cercueils sur lesquels les noms sont inscrits à la craie sont entassés les uns sur les autres, des familles recherchent leurs disparus.
Certaines ont été décimées: 19 des 26 membres de la famille Gody, les parents Lakdar et leurs dix enfants ont trouvé la mort.
"Imprévisible nature"
Dans les jours suivant la catastrophe, du ravitaillement est distribué, des aides d'urgence versées aux rescapés, les dons affluent du monde entier. Des vaccinations contre la typhoïde et une campagne de dératisation sont organisées.
Tout le monde s'interroge sur les causes de la rupture du barrage. Après des pluies torrentielles sur la région au début de la semaine, la cote d'alerte du barrage, inauguré cinq ans auparavant, venait d'être dépassée, et certains craignaient qu'il ne résiste pas.
Le gardien, André Ferro, déclare le 5 décembre devant la commission d'enquête, déplacée sur les restes du barrage: "A 18H05, les vannes avaient été ouvertes, tout était normal (...). Peu avant 21H00, j'ai quitté le poste de contrôle et suis allé faire une ronde au bas du barrage. Il n'y avait pas la moindre fissure, pas le moindre suintement, pas le moindre craquement".
Quelques années plus tard, la justice relaxe les ingénieurs et membres de cabinets d'études poursuivis (arrêt de 1966 confirmé en cassation en 1967). Elle retient une "défaillance du terrain de fondation", couplée à "un piège préparé par la nature".
Un arrêt du Conseil d'Etat clôt la procédure en 1971, blâmant "l'imprévisible nature" et une configuration géologique défavorable, pas suffisamment prise en compte.