En ce dimanche 22 décembre 1720, tout est calme à Rennes. La ville, l'une des plus importantes du royaume de France avec ses 40.000 habitants, grâce notamment à l'implantation du Parlement de Bretagne au XVIe, présente une architecture en pans de bois avec des ruelles denses et tortueuses.
Rue Tristin, une artère en plein centre-ville désormais disparue, un feu part de l'atelier d'un menuisier. Rapidement, l'incendie devient incontrôlable. Mais pourquoi n'a-t-il pas été contenu comme cela a été le cas ailleurs ?
"On a préparé la période hivernale: dans les maisons, il y a beaucoup de bois de chauffage mais aussi des denrées alimentaires hautement inflammables comme des matières grasses, du saindoux, du suif...", avance Gilles Brohan, animateur du patrimoine à l'office de tourisme de Rennes.
La nuit est tombée et on est dimanche, un jour chômé où l'on a parfois l'habitude de boire plus que de raison... Aucune véritable aide n'est à attendre des secours, le corps des pompiers n'existant pas encore.
Attisée par un fort vent, une "mer de feu", selon les témoignages, consume la cité. Au bout de quelques jours, l'intendant, ancêtre du préfet, ordonne même de... détruire des maisons pour créer des pare-feux.
Fin décembre, la pluie, tant attendue, tombe enfin. Le feu est maîtrisé le 30. Si le bilan humain se limite à une dizaine de victimes - la plupart des habitants ayant eu le temps de s'échapper -, le centre n'est plus qu'un amas de ruines fumantes: un millier de maisons détruites, soit 40% de la ville, tandis qu'une trentaine de rues sont rayées de la carte.
"En Europe, à l'époque moderne, l'incendie de Rennes fut un événement exceptionnel. Si les incendies urbains étaient loin d'être rares, très peu amenèrent une destruction aussi importante", relève l'historien australien David Garrioch, cité dans "Rennes 1720. l'incendie" (PUR).
1720, annus horribilis
Place désormais à la reconstruction de la ville. Après avoir dépêché pour s'y atteler un militaire en la personne d'Isaac Robelin, une nomination qui peut faire écho à celle du général Jean-Louis Georgelin pour la restauration de Notre-Dame de Paris, c'est finalement l'architecte du roi Jacques Gabriel qui est nommé, une décision qui flatte l'ego des notables bretons.
La reconstruction, qui va durer jusqu'en 1760, s'appuie sur un plan orthogonal, "avec des îlots qui se coupent à angle droit", formant "une ville rationnelle qui tranche avec l'imbrication médiévale", souligne M. Brohan.
"Le tour de force de Gabriel est qu'il va densifier tout en aérant la ville, qui va gagner en salubrité, en lumière, en espaces publics, avec deux places royales, conçues dans l'esprit des Lumières du XVIIIe", ajoute-t-il.
Pour ne pas revivre le traumatisme du feu, les Rennais, très pieux dans cette ville où couvents et congrégations sont en nombre, vont se protéger symboliquement: les niches à vierge, dont beaucoup sont encore visibles, se multiplient.
Mais Rennes n'en a pas pour autant totalement fini avec les flammes. En 1994, à la suite d'une manifestation de marins-pêcheurs, le Parlement de Bretagne, monument le plus emblématique de la capitale bretonne, brûle... alors qu'il avait été presque miraculeusement épargné en 1720.
Et là où à Londres, "The monument", une impressionnante colonne dorique, rappelle le terrible incendie de 1666, il a fallu attendre 1993 pour qu'un monument commémoratif soit inauguré à Rennes: la fontaine de l'artiste italien Claudio Parmiggiani, installée sur une place où le feu a été stoppé.
Reste que cet incendie ponctue une "année 1720 absolument épouvantable", rappelle l'historien Georges Provost, avec en plus une crise financière majeure et la peste en Provence. Une "annus horribilis" 300 ans avant celle de 2020 marquée par une épidémie mondiale, une crise économique et des attentats islamistes.