Dans son réquisitoire jeudi, que l'AFP a pu consulter samedi, le vice-procureur Michel Sastre demande le renvoi des quatre personnes mises en examen devant le tribunal correctionnel de Marseille, pour homicides involontaires et blessures involontaires.
Le magistrat a en revanche abandonné le chef de mise en danger d'autrui, une proposition qui pourrait écarter une bonne partie des quelque 70 parties civiles actuellement au dossier.
"Si les réquisitions venaient à être suivies (par les trois juges d'instruction chargés de ce dossier), une audience de mise en état pourrait avoir lieu au printemps, pour une ouverture possible du procès cet automne", a expliqué samedi à l'AFP le procureur de la République de Marseille Nicolas Bessone.
Quatre personnes pourraient donc être jugées pour ces huit vies disparues, dans un drame symptomatique de l'ampleur de la question de l'habitat insalubre dans la deuxième ville de France, en son coeur même, à quelques encablures à peine du Vieux Port et de la Canebière.
Deux personnes physiques d'abord: Julien Ruas, adjoint au maire chargé de la prévention et de la gestion des risques, alors que la ville était encore dirigée par Jean-Claude Gaudin (LR) ; et Richard Carta, l'architecte désigné comme expert par le tribunal administratif de Marseille, qui avait inspecté l'immeuble du 65 rue d'Aubagne, où vivaient les huit victimes, le 18 octobre 2018, trois semaines à peine avant le drame. Une visite qu'il avait bâclée en une heure, sans interroger aucun habitant.
"Phénomène d'accoutumance au risque"
Et deux personnes morales: Marseille Habitat, société d'économie mixte de la ville de Marseille propriétaire du 63 rue d'Aubagne, un immeuble vide mais totalement délabré qui s'était écroulé en même temps que le 65 ; et le cabinet Liautard, le syndic de copropriété chargé de la gestion du 65.
Si, dans son réquisitoire, Michel Sastre concède que "personne ne pouvait prédire un effondrement" des deux immeubles, le magistrat estime qu'"il était acquis", lors de l'intervention de M. Carta, que ces effondrements étaient "inéluctables".
"Le processus de désagrégation était lancé, et rien ne pouvait plus l'arrêter", et ce depuis 2017, conclut le magistrat. Mais M. Carta, lui, n'a "pas rempli les obligations minimales de diligence d'un expert, (...) car c'était le soir, qu'il était pressé".
"M. Carta s'était accoutumé à visiter des immeubles vétustes, et des +65+, il en voyait régulièrement, pensant peut-être, comme tout un chacun non expert, qu'un immeuble ça ne s'effondre pas", poursuit le vice-procureur de Marseille, évoquant "un drame de la routine".
Quant à M. Ruas, il a démontré au cours de l'enquête que "toute notion de proactivité, de responsabilité et d'initiative par rapport à ses missions lui étaient totalement étrangères", cingle le réquisitoire du parquet.
Et le magistrat de rappeler au passage le nombre de dossiers aux oubliettes dans le service dirigé par cet élu, directeur de maison de retraite de profession: 2.600 signalements d'immeubles sous suspicion de péril non traités, 230 immeubles en péril grave et imminent non suivis.
Stigmatisant le "manque de curiosité" de certains experts, alors qu'"au moins neuf expertises judiciaires" ont été conduites sur les deux immeubles effondrés, entre 2005 et 2018, le réquisitoire de M. Sastre est également sévère pour les deux personnes morales en cause.
Ainsi, quand le cabinet Liautard engageait des travaux au 65, "la cosmétique à coût minimum était privilégiée", constate le magistrat, qui en "déduit que l'argent était le motif qui retenait le syndic à cet immeuble".
De même, dénonçant "un phénomène inquiétant d'accoutumance au risque" chez Marseille Habitat, le réquisitoire souligne qu'il y a eu "indiscutablement un refus délibéré" de cette société d'économie mixte "d'engager des travaux coûteux pour préserver des vies". Cela afin de "privilégier la préservation des deniers".