"Quand il pleut trop fort, on se réfugie chez des voisins", déclare à l'AFP Christine Nzigire, 37 ans, habitante du quartier Nyakaliba, dans la commune Kadutu de la capitale provinciale du Sud-Kivu.
Jusqu'en mars dernier, il y avait des locataires au premier étage de sa maison de bois. Mais ils sont partis, paniqués, quand une coulée de boue a emporté une portion du grand escalier en ciment qui traverse le quartier en pente, à côté de son logement.
Depuis, les habitants contournent la brèche par un sentier escarpé et glissant.
Sa voisine Isabelle Zaninga, 38 ans, dont la maison semble plus stable, abrite deux ou trois familles quand les éléments se déchaînent. La crainte des éboulements est encore plus grande depuis que des pluies torrentielles ont fait plus de 400 morts début mai dans le territoire de Kalehe, au nord de Bukavu.
"Je suis ici depuis 25 ans", explique Isabelle, originaire du territoire de Walungu, au sud-ouest. "Il y avait la guerre chez nous...", dit-elle.
Comme des milliers d'autres familles, elle a fui son village pour échapper aux violences des groupes armés qui pullulent dans l'est de la République démocratique du Congo depuis les conflits régionaux des années 1990-2000.
En arrivant à Bukavu, ces déplacés, sans moyens, ont cherché à se loger dans les quartiers les moins chers, sur de minuscules parcelles. L'exode rural a continué, l'urbanisation anarchique s'est accentuée.
Maisons au cimetière
Depuis une vingtaine d'années, un nouveau quartier est même né dans une partie du grand cimetière de la ville, au-dessus de la rivière Ruzizi qui marque la frontière avec le Rwanda.
Éric Zaluke, jeune père de deux enfants, y a acheté une petite maison en tôle ondulée qui jouxte une tombe encore surmontée d'une croix de fer et ceinturée de barreaux. "Pas de problème, nous habitons en paix...", déclare le jeune homme. Un peu plus haut, haricots et manioc poussent entre les sépultures.
Fondée au tout début du XXe siècle sur la rive sud du lac Kivu par les colons belges, Bukavu, ex-Costermansville, a été conçue pour environ 100.000 habitants, explique Elvis Mupenda, rapporteur de la société civile locale.
Ils seraient aujourd'hui environ 2 millions, un chiffre difficile à confirmer faute de recensement.
Jean de Dieu Cikonza Maroyi, 54 ans, chargé de communication de la division provinciale "urbanisme et habitat", se souvient dans son enfance d'"une ville parfumée", aux avenues bordées d'arbres en fleurs et de villas aux toits colorés. "Il faisait bon vivre", mais maintenant, lance-t-il, "Bukavu est un bidonville".
Les arbres ont presque tous disparu et le centre-ville est asphyxié par les embouteillages.
"On construit sur les caniveaux, au bord des rivières, on repousse même l'eau du lac pour créer de nouvelles parcelles", s'alarme Ladislas Witanene, membre de la société civile environnementale.
"Imaginez quand l'eau va récupérer ses espaces!", met-il en garde, en déplorant la corruption et les passe-droits qui permettent de contourner les règles élémentaires d'urbanisation.
Pas les moyens
La menace est aggravée, selon lui, par le changement climatique. Depuis une dizaine d'années, "même en saison sèche on peut avoir des pluies diluviennes", affirme-t-il, en demandant aux autorités de prendre "des mesures préventives".
Le militant rappelle qu'un agrandissement de la ville vers des sites moins menacés est à l'étude. Mais les commerces et bâtiments administratifs n'étant pas déplacés vers la périphérie, les gens continuent à s'entasser dans des quartiers surpeuplés.
Faustin Buroko, chef du quartier Nyakaliba, chiffre à 65.000 le nombre de ses administrés et tient la comptabilité des sinistres: de septembre 2021 à décembre 2022, il en a enregistré 360 et, de janvier à mai 2023, 270.
Ces sinistres sont soit des incendies qui dévorent les maisons en bois, soit des éboulements.
En bas de son quartier, où neuf personnes étaient mortes l'année dernière dans un glissement de terrain, 116 familles devraient "quitter les lieux". 62 se sont vu attribuer de nouvelles parcelles, dit-il, "mais la plupart ne partent pas, parce qu'elles n'ont pas les moyens de reconstruire".
Robert Banywesize, fonctionnaire de 45 ans, montre le mur de soutènement tombé à l'arrière de sa maison. La moitié du sol de son salon, qu'il a pavé de grosses pierres, s'est affaissée. Plus rien n'est d'équerre chez lui.
"Cette saison, il a beaucoup plu. Il n'y a plus d'arbres pour soutenir la terre...", explique le père de deux enfants, qui évoque aussi "les tremblements de terre" fréquents dans le Kivu. "On nous a dit de partir, mais sans indemnisation, comment faire ?"
A deux parcelles de là, une maison de bois à un étage penche dangereusement.
A l'intérieur habite un jeune couple, avec un enfant de 16 mois. Face au danger, le propriétaire, frère ainé du mari, est parti. Mais Justin et Sarah, 32 et 24 ans, ont pris la place.
"On n'a pas ailleurs où aller", disent-il, pendant que Justin casse à coups de marteau le sol en ciment, en espérant alléger la bâtisse et retarder son effondrement.