"On nous traite comme des animaux", clame Nadjima. Depuis la fin d'année 2022 et l'annonce par la mairie de Koungou (au nord-est de Grande-Terre) et la préfecture de Mayotte de leur intention de détruire le quartier dit "Talus 2", c'est désormais le leitmotiv des quelques 500 habitants du site. "Ils veulent détruire nos maisons mais c'est aussi nos vies qu'ils détruisent", reprend la mère de famille, installée sur ce flanc de rocher depuis une vingtaine d'années, et qui comme tous les habitants préfère être appelée par son nom usuel que donner son nom de famille officiel.
Tous sont installés à Majikavo depuis au moins 20 ans. Les plus anciens, à l'image de Daoud, bacoco (papy en shimaoré) toujours coiffé de son koffiah se sont établis sur ce terrain il y a 32 ans. "Tous mes enfants sont nés ici", explique-t-il, embarrassé par un français approximatif. A ses côtés, une jeune femme tient son bébé fermement. Lui aussi est né ici, comme elle avant lui.
Qu'ils soient Mahorais ou Comoriens en situation régulière avec des enfants français, Daoud, Fatima, Nadjima ou encore Mohamed ont une histoire commune : ils se sont installés très pauvres sur ce terrain alors déserté, y ont construit leurs "bangas" habitations de bois et de tôles ondulées, puis leurs vies : éleveur de canards, petit restaurateur, électricien ou transitaire.
"C'est cela qui nous a permis de sortir de la misère, aujourd'hui, plusieurs de nos enfants sont en métropole pour faire leurs études, on s'est battu pour ça", expliquent fièrement Mohammed et Fatima.
Bataille juridique
Plusieurs familles ont décidé de contester la décision de la préfecture, représentées par l'avocate Marjane Ghaem, laquelle dénonce "des manœuvres systématiques visant à détruire à tout prix au mépris de la loi". Ils attendent la décision du juge administratif.
Pour justifier le "décasage", la Préfecture met en avant l'insalubrité des logements, la dangerosité du site, la présence d'étrangers en situation irrégulière et de jeunes délinquants.
Autant d'éléments contestés par les habitants, qui ne paient aucun loyer. "Depuis 30 ans que nous sommes ici, nous faisons toutes les démarches pour que notre situation soit régularisée auprès du Département et de la mairie. On nous a raccordés en eau et en électricité, on nous a fourni des adresses et maintenant on nous dit que l'on doit dégager", s'insurge Fatima.
En attestent nombre de documents administratifs, ainsi que les boîtes aux lettres et les compteurs installés tant bien que mal sur le terrain rocheux. Une minéralité qui conduit les différents services administratifs à désormais considérer le site comme dangereux, tout en justifiant la destruction du quartier pour construire à nouveau.
"S'ils disent qu'il y a des étrangers et des délinquants, qu'ils viennent voir. Ici on est tous mélangés, il y a de toutes les origines mais aussi beaucoup de Mahorais. Et on élève bien nos enfants", conteste Nadjima.
Selon la loi Elan, la préfecture a obligation de proposer "des logements adaptés" aux habitants dont les maisons ont été détruites. Mais les services sociaux n'ont jamais donné la localisation et la durée des relogements proposés.
"On ne peut pas accepter sans savoir où on va ni combien de temps, si l'on part de ce quartier on perd tout et les enfants vont être déscolarisés, c'est dramatique", poursuit Nadjima. "Ils disent qu'ils vont reconstruire après et que l'on sera prioritaires, mais on n'a aucune garantie, d'abord on construit, ensuite on détruit, c'est comme cela que ça doit se passer. S'ils avaient proposé ça, on aurait tout de suite accepté", explique-t-elle.
Une question de dignité
C'est d'ailleurs de cette manière que s'est déroulé le relogement dans des maisons relativement confortables de leurs voisins. Reste que cette opération, datant de plusieurs années, ne s'était pas opérée sur le fondement de la loi Elan. Depuis sa mise en application sur le territoire, près de 9.000 personnes ont vu leur maison détruite, sans qu'il soit possible de retrouver trace d'habitants relogés de manière pérenne.
Selon la préfecture, il y aurait bien une offre de relogement ferme. A quelques centaines de mètre du bidonville se trouvent en effet des préfabriqués empilés: un espace sanitaire pour les femmes, un autre pour les hommes, une cuisine commune impraticable. Cinq familles devraient y être accueillies, contre loyer, sans pouvoir y apporter leurs affaires personnelles.
"C'est ça la dignité ? Comment ils peuvent croire que l'on voudrait habiter dans ces containers", dénoncent en chœur les habitants sur une placette du bidonville. "Ils disent que nos logements sont indignes et on nous propose ça, payant en plus, c'est vraiment du mépris", poursuit Mohamed. J'espère que la justice, elle, voudra bien nous écouter. Au minimum, on voudrait du respect."