Première église en France entièrement en béton armé, achevée en 1923, ce monument-jalon de l'œuvre de l'architecte Auguste Perret (1874-1954) et ses frères vient de s'offrir un relifting à 1,5 million d'euros de son clocher. Rencontre du néo-gothisme avec l'architecture moderne, la flèche de 43 mètres souffrait de l'usure du temps.
"Avec l'effet des intempéries, le béton progressivement change de caractéristiques et devient acide. À partir de ce moment-là, les armatures métalliques se mettent à rouiller et cela fait éclater le béton", explique à l'AFP Christophe Arnion, un passionné de Notre-Dame du Raincy et président de son association Restaurer, qui y organise des visites guidées pour les Journées du patrimoine.
La situation était devenue si critique que le diocèse avait dû faire plusieurs fois appel à des cordistes pour faire tomber des morceaux menaçant la sécurité des paroissiens et visiteurs, ainsi qu'installer des filets de protection.
Mais depuis le printemps, les échafaudages ont disparu et "la Sainte Chapelle de béton armé", comme la qualifiait l'architecte Le Corbusier, paraît - presque – neuve.
"Ce que j'aime bien, quand on est sur le trottoir d'en face, c'est que le clocher ressemble à un gratte-ciel. On est dans les années 20, les années folles", témoigne le père Nicolas Maine, curé du Raincy, enclave cossue au cœur de la Seine-Saint-Denis. Puis une fois à l'intérieur, "on ne se sent pas écrasé", confie le prêtre: "c'est tellement élancé, les poteaux fins disparaissent quasiment du regard".
Érigée avec des techniques rapides et bon marché tirées de la construction de halles industrielles, Notre-Dame de Consolation a été conçue pour accommoder la population grandissante du Raincy dans un contexte de développement démographique et urbain des banlieues après la Première Guerre mondiale.
Premier du genre, son modèle a fortement influencé l'époque et été reproduit pour plusieurs églises de l'entre-deux-guerres. Le bâtiment a été classé aux monuments historiques en 1966.
Vitraux chatoyants
Avant-gardiste pour l'architecture religieuse d'alors, l'édifice figure dans tous les manuels d'architecture et continue un siècle après d'attirer des étudiants curieux du monde entier, venant d'aussi loin que la Norvège ou le Japon - où une réplique à échelle réduite sert de chapelle dans une université de Tokyo.
"Ils sont impressionnés qu'on ait pu faire un si bel édifice avec peu de moyens. Dans le béton armé, ce qui coûte cher ce sont les moules. Finalement, il y avait un moule pour les voûtes, un pour les colonnes et cinq types de claustras. Avec ces sept éléments, ils ont fait toute l'église", explique Philippe Brancaz, un paroissien qui mène des visites guidées en anglais.
À l'intérieur, nul mur plein. Sur tous les côtés, des parois ajourées - claustras - laissent entrer la lumière par des vitraux chatoyants aux motifs géométriques typés Art Déco. Chaque travée est d'une dominante différente, dans un dégradé allant des couleurs les plus froides aux plus chaudes et qui mène le regard jusqu'au gigantesque mur de vitraux bleus du chevet, au fond de l'église.
Dans cette église consacrée aux victimes de la guerre de 14-18, l'une des verrières commémore la bataille de l'Ourcq, avec généraux et poilus et même un taxi de la Marne. Des oeuvres réalisées par la maître-verrier Marguerite Huré (1895-1967), rare femme dans un milieu d'hommes et considérée comme l'une des introductrices de l'abstraction dans l'art du vitrail religieux.
Dans les panneaux représentant la vie de Marie, la vitrailliste lesbienne a prêté ici et là ses traits à un personnage, qui se détourne de la scène. "Elle est présente mais regarde ailleurs, c'est une manière de montrer la manière dont les homosexuels ont été traités et sont toujours traités par l'Église", analyse Christophe Arnion.
Malgré la qualité du bâti des frères Perret, le temps a toutefois révélé les faiblesses du béton armé, particulièrement lorsqu'il est comme ici exposé sans protection aux éléments. Pour Notre-Dame du Raincy, de nouvelles rénovations seront inévitables à intervalles réguliers.