Le Savoyard, qui préside depuis 2020 la puissante Association nationale des maires des stations de montagne (ANMSM), est un visage connu des médias. Partisan du tout-ski en montagne, il défend vigoureusement les stations, notamment auprès du gouvernement.
Cet édile de 54 ans dirige depuis 2014 la mairie de La Plagne-Tarentaise, mais il est également patron d'une entreprise du bâtiment sur sa commune.
Une double casquette qui lui a déjà valu l'annulation d'une délibération par la justice administrative. Mais d'autres signalements, dont un au pénal, le mettent directement en cause.
Au printemps 2017, l'enfant du pays fraîchement nommé à la tête de France Montagnes, l'outil de défense et de promotion de l'or blanc en France, faisait voter au conseil municipal la vente de parcelles au coeur de la station à un promoteur qui fera appel à Boch et Frères, entreprise dont il est président, pour le terrassement du terrain.
La justice administrative a définitivement reconnu au printemps 2021 l'illégalité de cette décision, jugeant le maire personnellement "intéressé" par ce vote dont il ne s'est pas écarté. Une "erreur" admise par M. Boch, qui assure ne pas avoir été au courant que son entreprise allait intervenir sur le projet.
Erreurs d'écriture ?
Cet épisode, révélé par Marianne en juillet, résulte d'un recours déposé en 2019 par un ancien membre de sa majorité, Joël Ougier-Simonin.
L'ancien élu dénonce de multiples incohérences dans la gestion municipale de ce projet immobilier des "Lodges" et la justice a ouvert une enquête à l'origine d'une série de perquisitions menées fin 2020 à la mairie ainsi qu'au siège de l'entreprise et au domicile de Jean-Luc Boch, qui n'a pas encore été entendu.
Des témoins ont toutefois confirmé à l'AFP avoir été auditionnés par des enquêteurs lyonnais, mais le parquet de Lyon n'est pas disponible à ce stade pour commenter ces informations.
M. Ougier-Simonin dénonce, aux côtés de l'association Anticor, des faits de prise illégale d'intérêt, de trafic d'influence, de faux en écriture publique et de détournements de fonds publics.
Si la délibération municipale a été annulée, la vente des parcelles n'a pas fait l'objet de recours et a donc pu être validée pour un million d'euros.
Mais l'Etat, via son service des Domaines, avait approuvé en 2017 ce prix de vente pour une surface bien plus réduite que le terrain effectivement vendu : 2.328 mètres carrés, contre environ 3.300 dans l'acte de vente notarié dont l'AFP a obtenu copie.
"La collectivité a été pénalisée de plusieurs centaines de milliers d'euros", au moins 400.000, soutient M. Ougier-Simonin. Et ce au bénéfice du promoteur, qui engagera ensuite l'entreprise du même M. Boch pour le terrassement du chantier.
Interrogé sur ce volet, ce dernier explique la différence de surface par "des erreurs d'écriture", à la fois côté Domaines et côté mairie.
Tout le projet était "mal emboité dès le départ", fustige l'ancien maire et opposant Bernard Broche, qui affirme ne jamais avoir "eu tous les éléments concrets sur le dossier" ni "de réponses" à ses questions, "sauf lorsque la justice a commencé" à s'y intéresser.
"Conflit d'intérêts"
Les détracteurs de M. Boch glissent que le maire avait été averti des risques de mélange des genres dès le début de son mandat, en 2014.
À l'époque, il avait reconduit les marchés de déneigement liant sa commune et son entreprise, à l'encontre des recommandations de la préfecture car, se défend-t-il aujourd'hui, il était trop tard pour changer de prestataire avant l'hiver.
La Cour régionale des Comptes estimera dans un rapport de 2018 qu'en connaissance de cause, le maire avait alors "maintenu une situation de conflit d'intérêt".
Dans le cadre d'une autre opération immobilière de luxe, l'entreprise du maire est également accusée, dans un signalement transmis aux services de l'Etat, d'avoir déversé en 2019 plusieurs dizaines de milliers de mètres cubes de remblais de terrassement sur une piste de ski sans aucun permis de la mairie.
Jean-Luc Boch reconnaît que son entreprise "aurait peut-être dû demander des autorisations" mais assure que "la piste n'a pas été modifiée".
Des photos prises à différentes époques ainsi que des témoignages permettent d'affirmer, au contraire, que la piste a été durablement modifiée. Le directeur général de la Société d'Aménagement de La Plagne (SAP, filiale de la Compagnie des Alpes), qui gère le domaine skiable, est visiblement embarrassé.
"Nous, en tout cas, on n'a pas été donneur d'ordre", assure Nicolas Provendie, sans démentir l'impact sur la piste de ski. Le SIGP, syndicat public intercommunal qui confie la gestion de la station à la SAP, est depuis 2020 présidé par Jean-Luc Boch... dont l'entreprise avait noué de nombreux marchés avec la SAP.
Boch et Frères a aussi déversé des monceaux de gravats sur un autre terrain où ils s'entassent, par endroits, jusqu'à la cime des arbres.
Pour ces dépôts, l'entreprise bénéficie d'un "accord oral" avec la mairie depuis 2009, soutient M. Boch. Une enquête de gendarmerie a été ouverte après un signalement transmis à la direction régionale de l'environnement (Dreal), a rapporté à l'AFP la préfecture de Savoie.
Économie "gangrénée"
"À chaque fois, on me cherche des noises", s'agace l'édile face à ces multiples signalements. Il y voit surtout une "vengeance" de Joël Ougier-Simonin, qui selon lui "essaye absolument d'avoir (s)a tête."
M. Boch réfute catégoriquement tout enrichissement personnel. "Au contraire, (mon élection) m'a fermé beaucoup de marchés", soutient l'élu.
Pour nombre d'habitants, ces affaires illustrent les failles d'une économie locale complètement tournée vers le ski et "gangrénée par l'immobilier," selon les mots d'un élu de la vallée, qui salue les signalements de ceux qui "en ont marre de voir la montagne se faire détruire."
À la Plagne, le nombre de forfaits vendus est stable depuis dix ans. Mais celui des lits croit encore, de 53.000 sur la station en 2011 à 55.000 aujourd'hui.
La construction "de nouveaux bâtiments va s'arrêter d'ici très peu de temps", coupe Jean-Luc Boch. "Un ou deux grands projets et après c'est terminé."