"Je suis usé par la fonction et par les blocages qui viennent d'en haut", a résumé auprès de l'AFP le maire de Sevran Stéphane Gatignon (Seine-Saint-Denis), qui a démissionné avec fracas mardi soir après dix-sept ans à son poste.
En cause, une vision de la banlieue de plus en plus "lointaine de la part des gouvernants", et le "mépris de l'Etat", a-t-il dénoncé avant de conclure: "Ca ne peut pas durer".
Très vite le mot-dièse #noussommestousGatignon est apparu sur twitter, repris mercredi par l'association de maires "Ville et Banlieue" qui a dénoncé "le burn-out" des élus.
Les banlieues françaises, où vit une population défavorisée souvent confrontée à un fort taux de chômage nettement supérieur à la moyenne nationale, ont fait l'objet de plusieurs plans de rénovation urbaine sans pour autant faire disparaître les difficultés.
"Nombre d'entre nous, qui portons à bout de bras les réponses aux besoins d'égalité, de liberté et de fraternité pour les presque six millions d'habitants de nos 900 communes (...), sommes éreintés", affirme le communiqué, qui déplore lui aussi le "mépris hautain" du gouvernement.
Même ressentiment chez le socialiste Michel Fourcade, maire depuis dix ans de Pierrefitte. L'édile de cette ville de Seine-Saint-Denis où 60% des habitants ne paient pas d'impôts a lui aussi l'impression que la situation "se dégrade", avec des "populations qui s'appauvrissent et des dotations en baisse".
"On se sent délaissés", dit-il, partageant avec Stéphane Gatignon le sentiment que "l'Etat préfère s'occuper des plus riches que des plus pauvres".
"Il y a de l'écoute", de la part du gouvernement, admet Sylvine Thomassin (PS), secrétaire générale de l'association des maires d'Île-de-France. "Mais se sont des techniciens, pas des gens de terrain. Ils ouvrent des yeux ronds quand on leur dit qu'on en peut plus des normes".
"Je ne pensais pas que ce serait aussi dur" d'être maire, ajoute l'élue, à la tête de Bondy (Seine-Saint-Denis) depuis six ans. "Le chômage des jeunes, on se le prend en pleine figure tous les jours", raconte-t-elle. "90% des rendez-vous que j'ai en tant que maire sont pour du logement".
Résultat: "on est pris en étau entre un gouvernement qui ne perçoit pas la désespérance de nos concitoyens" et les "attentes des habitants".
Dernière chance
Plusieurs élus de Seine-Saint-Denis ont de leur côté écrit à Emmanuel Macron pour l'alerter sur le "danger" que court la rénovation urbaine en Seine-Saint-Denis face à la dégradation des financements publics.
La majorité des bailleurs "ont déjà pris des mesures d'économie" sur l'entretien des immeubles et "revoient à la baisse" leur programme de travaux, déplore cette lettre signée notamment par le président du département Stéphane Troussel, le président de Plaine Commune Patrick Braouezec et le maire d'Aulnay-sous-Bois Bruno Beschizza.
Cette grogne survient à quelques semaines de la remise d'un très attendu "rapport Borloo" pour les quartiers, qualifié par M. Gatignon de "plan de la dernière chance". Refusant d'être oubliés au profit de la ruralité, les maires de banlieue comptent bien ne pas relacher la pression d'ici là.
Leur colère s'est cristallisée sur le désintérêt affiché, selon eux, par le ministre de la Cohésion des territoires Jacques Mézard lors d'une réunion où ils devaient présenter leurs conclusions sur la Politique de la Ville.
Le ministre de l'Intérieur a estimé mercredi que "le véritable enjeu pour notre pays ce sont ces quartiers". "On a beaucoup focalisé (...) sur le rural et l'urbain" mais "le vrai problème c'est les quartiers où un certain nombre de jeunes désespèrent", a ajouté Gérard Collomb sur France Inter.
Les maires de Ville et Banlieue avertissent: "les toutes prochaines semaines seront cruciales. Les choix que fera M. Macron pour les sites populaires fragiles constituent l'ultime voie pour que se rétablisse - ou pas - la confiance entre plus d'un dixième du peuple de France et la nation républicaine".