En cette matinée humide de fin janvier, à l'heure de la "récré", on aperçoit avec étonnement des centaines de collégiens dehors, croisant des habitants promenant leur chien, au milieu de talus arborés. Le Rheu, qui n'était qu'un village dans les années 1950, s'est agrandi avec l'implantation d'une usine Citroën à proximité, se développant à travers les préceptes du célèbre urbaniste Gaston Bardet (1907-89), promoteur du "mariage de la ville avec la verdure".
Morgane, 14 ans et en 4e, est "fière" et "adore" être dans ce collège de plain-pied bâti en 1974, "où l'on a plus de liberté". "On peut aller dans l'herbe et c'est plus joli sans clôture!". Et elle rappelle en souriant cette anecdote propre au collège Brassens: le premier jour, le principal fait le tour de l'établissement en montrant les "limites virtuelles" à ne pas dépasser.
Son camarade Milan, sweat à capuche, est opposé à la future sécurisation du site comme tous ses copains et se demande si le terrain de basket et de foot sera à l'intérieur ou non de la clôture. "On a moins de problèmes ici que dans des collèges avec grillages. Et si on met un mur de 1,50 m le terroriste qui va commettre un attentat il passera par-dessus!".
Mais pourquoi ce qui a été possible pendant près de 50 ans n'est plus possible en 2021 ? "On a eu une réunion en préfecture de la cellule de veille et de sécurité autour du préfet, du procureur, services de renseignements et de sécurité", explique Jean-Luc Chenut, président socialiste du conseil départemental, auquel est confiée la gestion des collèges.
"La situation atypique du collège du Rheu a été fortement pointée avec une cotation de risque élevé" alors que le pays est placé "sous le dispositif Vigipirate attentat, le niveau de vigilance le plus élevé", résume M. Chenut, qui fut maire du Rheu. La nouvelle clôture, qu'il souhaite "paysagère" pour un coût chiffré entre 200.000 et 250.000 euros, doit être prête pour la prochaine rentrée de septembre.
Réversibilité ?
Mais pour beaucoup de parents d'élèves, cette décision dénature la déclinaison architecturale du projet pédagogique. "Philosophiquement, c'est l'idée qu'on peut faire confiance aux jeunes, qu'il y a un apprentissage progressif de l'autonomie", explique Matthieu Mahéo, secrétaire général académique Snes-FSU et représentant des parents d'élèves.
"On regrette qu'un président socialiste du conseil départemental n'ait pas le courage politique de défendre la particularité de la commune et cède aux sirènes sécuritaires", lance M. Mahéo, reconnaissant que l'attentat ayant coûté la vie à Samuel Paty a conduit "à porter un regard nouveau" sur les établissements scolaires.
Selon Sébastien Cordrie, documentaliste, "il n'y a jamais eu de fuite d'élèves. Ici les élèves sont considérés comme des futurs adultes", relève-t-il, notant qu'il n'y a "pas d'autre collège ouvert" en France.
Au centre-bourg, les habitants de cette commune de 9.000 habitants expriment des avis plus nuancés. "Ça ne me choque pas qu'ils le ferment, il faut privilégier la sécurité. Est-ce que ça dénature l'histoire de la ville? Les temps ont changé, ce n'est plus la petite cité jardin qu'on a découverte il y a 40 ans...", pointe, nostalgique, Colette, 67 ans.
Romain, un commerçant, explique tout de go qu'il a "tout fait" pour ne pas mettre ses enfants dans ce collège. "Les gamins de 11 ans qui sortent de primaire sont encore des bébés, ils auront le temps de se responsabiliser plus tard! Là, ils sont un peu lâchés, on les voit aller au supermarché, à la boulangerie..."
Le maire Mickaël Bouloux (divers gauche) espère que la clôture aura l'"impact visuel le moins fort possible" et que la structure pourra être "réversible"... Pour un jour, qui sait, revenir à l'idéal initial.