Fin 2001, le syndicat Sud-Rail ainsi que trois cheminots de l'Etablissement industriel de maintenance du matériel (EIMM, ancien nom des Technicentres) de Saintes avaient déposé auprès du tribunal de la ville une plainte contre X pour "mise en danger de la vie d'autrui", demandant la désignation d'un juge d'instruction.
Dans cet établissement, des employés assuraient notamment la maintenance du matériel ou procédaient à des transformations. Or, tout le matériel construit avant 1991 contenait un isolant, l'Isoson, avec de l'amiante à l'intérieur.
Les plaignants estimaient que la SNCF ne les avait pas suffisamment protégés, notamment au regard d'un décret de 1996 renforçant la protection des travailleurs exposés à l'amiante.
"Jusqu'à la fin de 1999, à Saintes, les cheminots ne bénéficiaient pas de protections individuelles", masques, tenues spécifiques ou port de gants, d'après les plaignants.
Selon les réquisitions de renvoi du parquet de Paris signées le 2 mai, dont l'AFP a eu connaissance vendredi, l'enquête, longue de plus de 20 ans, a établi que la SNCF avait diffusé en juillet 1998 une note interne listant les recommandations à suivre pour protéger les employés, qui "n'avait jamais été mise en application" à Saintes "et n'avait été communiquée au personnel que 14 mois plus tard (...) et ce après une réclamation".
Un ex-directeur de l'EIMM, Gilles L., 79 ans et à la retraite depuis mars 2000 à cause d'une pathologie elle-même liée à l'amiante, a été mis en examen en 2010.
Lors de ses interrogatoires, il a affirmé avoir rempli ses obligations en la matière et souligné qu'il manquait au demeurant de moyens financiers pour mettre en oeuvre les recommandations anti-amiante.
Pour le parquet de Paris, qui a récupéré le dossier en 2005 et demandé son procès, Gilles L. a "exposé les employés de l'EIMM (...) à un risque immédiat de mort ou de blessures (...) en les exposant à l'inhalation de fibres d'amiante (...) en ne se conformant pas" à différentes dispositions réglementaires, malgré la note SNCF de 2018.
Sollicité, son avocat Me Pierre Bonneau n'a pas souhaité commenter.
"Un pauvre gars"
Le parquet de Paris, qui était également saisi d'une plainte pour homicide involontaire par les ayants-droits d'un ex-salarié de l'EIMM décédé en 2008, a requis sur ce point un non-lieu, suivant en la matière la jurisprudence actuelle selon laquelle faute de pouvoir déterminer la date de contamination exacte, il n'est pas possible de retenir une faute pénale individuelle.
La responsabilité de la SNCF en tant que personne morale n'a pas non plus été retenue. Sollicitée, l'entreprise n'a pas répondu à l'AFP.
Pour Jean-René Délépine, secrétaire fédéral Sud-Rail joint par l'AFP, ces réquisitions dans cette enquête à la durée "scandaleuse" sont "extrêmement décevantes".
"Les deux branches de la justice (juge et parquet) s'acharnent à réduire l'entonnoir pour ne faire arriver devant le tribunal correctionnel qu'un pauvre gars pour l'infraction la plus basse", dénonce-t-il, alors que selon lui il fallait mettre en cause d'autres responsables de l'époque et la SNCF.
"Nous allons engager une action en responsabilité de l'Etat pour défaillance de la justice", car "symboliquement, ce n'est pas ce qu'on attend d'un procès pénal", d'après lui.
Jacques Faugeron, président de l'Andeva, l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante, s'est lui réjoui de cette perspective de procès qui "permettrait de rendre publiques les méthodes et le manque de prévention en matière d'amiante", même si la SNCF devrait "elle aussi être mise en cause".
Une audience pourrait "servir de leçon à tous ceux qui continuent à exposer aujourd'hui les salariés à des substances dangereuses", selon lui.
La décision finale sur un procès revient aux juges d'instruction saisies du dossier.
Au moins deux condamnations ont déjà été prononcées en France pour mise en danger d'autrui relative à l'amiante: Alstom Powers Boilers en mars 2008, et le centre hospitalier régional universitaire de Besançon en octobre 2018.