"L'Autorité de la concurrence sanctionne l'Ordre des architectes pour avoir diffusé et rendu obligatoire un barème d'honoraires que les architectes devaient appliquer dans leurs réponses aux marchés publics", résume-t-elle dans un communiqué.
Les architectes sont libres de fixer leurs tarifs comme ils l'entendent, que ce soit auprès de leur clientèle privée ou des acteurs publics.
Or, alors que la commande publique représente un tiers des revenus de la profession en France, quatre antennes régionales de l'Ordre - Hauts-de-France, Centre-Val de Loire, Occitanie et Provence-Alpes Côte d'Azur - ont imposé à leurs membres d'y pratiquer des tarifs minimums, affirmant lutter contre des prix "anti-confraternels".
"La diffusion de ce barème s'est accompagnée d'une police des prix et de mesures de rétorsion à l'endroit des architectes ne respectant pas ces consignes tarifaires", ajoute l'Autorité.
Ces mesures ont été assumées au plus haut niveau de l'Ordre, via son conseil national qui a diffusé un modèle type de courrier pour saisir l'organisme en cas de tarifs inférieurs à ce barème, pourtant illégal.
"Les conseils régionaux ont également multiplié les procédures pré-contentieuses et contentieuses visant les architectes ne respectant pas les consignes tarifaires", souligne l'Autorité. "Plusieurs sociétés d'architecture et architectes ont, de leur côté, adhéré à cette police de prix, en dénonçant aux conseils régionaux compétents le taux d'honoraire pratiqué par leurs confrères mieux-disants."
L'une des antennes locales, celle des Hauts-de-France, a même créé un site internet pour que les architectes dénoncent les tarifs de leurs confrères.
"Au détriment du contribuable"
Ces pratiques n'ont pas seulement eu des conséquences sur la profession: elles ont pesé sur les budgets des collectivités auprès desquelles l'Ordre a "multiplié les interventions indues".
Les antennes locales sont intervenues "auprès des maîtres d'ouvrages publics afin de les dissuader de passer des marchés avec des architectes proposant des taux d'honoraires considérés +trop faibles+", dénonce l'Autorité.
Elles "ont découragé certaines collectivités de choisir des architectes proposant des honoraires modérés et ont, dans certains cas, remis en cause des marchés déjà passés ou en cours de négociation, entraînant une dépense supplémentaire de deniers publics au détriment du contribuable", conclut-elle.
Elle cite plusieurs exemples qui ont alourdi les finances publiques dans les Hauts-de-France: sous pression de l'Ordre, une communauté de communes a ainsi annulé et relancé un appel d'offres, perdant 200.000 euros à cette occasion.
Ce n'est pas la première fois que l'Autorité de la concurrence sanctionne l'organisation pour avoir entravé la liberté des prix: elle l'avait fait pour le conseil national en 1997 et pour l'antenne d'Aquitaine en 2004.
Mais les niveaux étaient sans équivalent: il s'agissait d'amendes respectives de 200.000 francs - soit environ 30.000 euros - et 10.000 euros.
Cette fois, c'est 1,5 million d'euros qui est exigé auprès de l'Ordre.
En revanche, l'Autorité a plaidé en faveur d'une relative indulgence pour les architectes qui ont, individuellement, participé à l'entente et pratiqué la délation.
Elle les condamne chacun à un euro symbolique d'amende, estimant qu'en prenant de telles positions officielles, l'Ordre avait encouragé la "confusion" quant à leur déontologie.
C'est bien cette instance qui est d'abord visée par la décision de l'Autorité de la concurrence, qui juge que l'Ordre a gravement manqué à ses responsabilités.
"Les pratiques concernées sont d'autant plus graves qu'elles ont été mises en oeuvre par l'Ordre des architectes, initiateur et principal instigateur de l'entente, alors qu'il jouit d'une autorité morale indéniable, aussi bien auprès de ses membres que des maîtres d'ouvrage publics", regrette-t-elle.
En réponse, l'Ordre a promis de contester la décision par "toutes les voies de droit possibles", alors qu'un recours est encore possible devant la Cour d'appel de Paris.
L'instance, qui évoque une décision "totalement à charge", dément avoir imposé un barème tarifaire et dit n'avoir que "relayé l'existence d'un simulateur de calcul d'honoraires" qui ne se destinait pas qu'aux architectes et a été élaboré par les pouvoirs publics.