Celle-ci crée un “permis de déroger” autorisant les maîtres d'ouvrage à s'affranchir de certaines normes de la construction, à la condition de « démontrer qu'ils en atteignent les objectifs de résultats sous-jacents. » La seconde ordonnance (qui devrait être publiée d'ici février 2020) sera, quant à elle, censée réécrire le Code de la construction et de l'habitation « en s'appuyant sur le retour d'expérience des maîtres d'ouvrage ayant recouru au permis de déroger. »
La société Schöck, experte en traitement des ponts thermiques, lance une alerte pour que la validation de cette première ordonnance ESSOC ne revienne pas à ouvrir la boîte de Pandore du BTP. Elle en dénonce donc aujourd'hui “l'irrégularité”, d'une part légale et d'autre part technique. En effet, sous couvert (louable) de simplifier de l'acte de construire et laisser carte blanche à l'innovation, peut-on réellement tout “expérimenter” lorsque l'enjeu est à la fois de bien loger et de réduire l'impact environnemental (le secteur du Bâtiment se révélant fort émetteur de gaz à effet de serre, point repris par le rapport du GIEC sur le réchauffement climatique publié le 8 octobre dernier) ?
Les faits
Jusqu'à présent, la RT2012 impose des obligations de moyens (un psi moyen de 0,6 W/(ml.K) pour l'enveloppe d'un bâtiment notamment) et de résultats (coefficients Bbio, Cep et Tic).
La réforme envisagée par la DHUP (Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages) entend retenir exclusivement les exigences de résultats, supprimant l'obligation de moyens qui pourraient freiner l'innovation. Plus d'obligation de psi en l'occurrence mais la validation de “solution d'effet équivalent”. Pour faire simple, peu importe le chemin emprunté, du moment qu'on arrive à destination. Conséquence selon Schöck et ses partenaires : une permissivité qui serait une porte ouverte à toutes les dérives, entre autres en termes d'isolation, avec l'avènement de bâtiments qui seraient de véritables “passoires énergétiques” (sans compter l'inconfort acoustique ou sanitaire...), ces mêmes “passoires thermiques” que le Ministre de la Transition énergétique, François de Rugy, veut “interdire à la location”.
Une ordonnance à sens unique...
Pour Raphaël Kieffer, Directeur Général Schöck France, il semblerait que « Le processus de concertation ne se soit pas déroulé de façon transparente. En effet, les réunions menées au sein du Groupe de travail performance énergétique et environnementale n'ont pas donné lieu à compte rendu systématique avec diffusion à tous les membres. Les conclusions de ce Groupe de travail, indiquant que la réglementation thermique actuelle répondait déjà à l'objectif performanciel voulu par la loi ESSOC, ont été balayées suite à la réunion de synthèse des chefs de file. Les articles L 111-9 et L 111-10 ont été introduits dans le champ d'application de l'ordonnance, sans aucune concertation avec le Groupe de travail. Ce non-respect de concertation contradictoire est clairement en opposition avec la volonté du Gouvernement de travailler en collaboration avec les acteurs de la filière. »
... à l'encontre de tous les enjeux sociétaux
Le fait que l'ordonnance ESSOC 1 se base exclusivement sur une obligation de résultats s'avère des plus risqué. En effet, les coefficients Cep et Bbio de la réglementation thermique actuelle ne peuvent garantir à eux seuls la qualité de l'enveloppe thermique d'un bâtiment.
Pourtant, comme le souligne Raphaël Kieffer, les enjeux sociétaux sont multiples :
- environnementaux :« Les bâtiments étant responsables à hauteur de 26 % de la consommation d'énergie totale en France d'après l'édition 2015 des “chiffres clés” de L'ADEME, et représentant donc un fort potentiel d'économies d'énergie, une enveloppe thermique homogène et performante se révèle la seule solution pour atteindre ces objectifs. »
- sanitaires : « La qualité de l'enveloppe d'un bâtiment a une influence directe sur la qualité de l'air de l'habitat. Des zones à fortes déperditions thermiques comme les ponts thermiques non traités sont sources de risques de condensation avec pour conséquence la dégradation du bâti, l'apparition de moisissures et donc le risque d'allergies et de maladies. »
« L'Observatoire de la qualité de l'air intérieur a établi que chaque année, plus de 28.000 nouveaux cas de pathologies graves sont répertoriés. La mauvaise qualité de l'air intérieur coûte quelque 19 milliards d'euros par an à la collectivité (source : Anses/CSTB). » - économiques : le 1er enjeu économique concerne les coûts de construction. « Ils représentent 28 % du coût total d'un bâtiment quand le coût d'utilisation et de maintenance en représente 46 % (source rapport 500.000 logements du 14 février 2014), d'où l'intérêt de bien construire aujourd'hui pour diminuer les charges aux occupants des logements de demain. »
Les coûts de rénovation ultérieurs sont également à prendre en compte : « Une isolation imparfaite génère des coûts de rénovation exorbitants et n'autorise pas la transmission d'un patrimoine bâti de qualité. »
Enfin, reste à considérer les coûts liés aux charges des occupants des bâtiments. Et Raphaël Kieffer de conclure : « Dans des bâtiments à la qualité de l'isolation perfectible, avec le coût des énergies (gaz et électricité) en constante augmentation, des dépenses supplémentaires vont être engendrées pour un confort qui, lui, va s'amoindrir. »
Ainsi Schöck souhaite faire entendre que « On ne peut déroger à des règles de construction libellées en objectifs de résultats alors que le permis d'innover est censé les garantir. » Si l'ordonnance 1 devait entrer en application en l'état, « L'objectif de réduction des gaz à effet de serre n'aurait aucune chance d'aboutir, le risque de retour des passoires thermiques ferait supporter à la France des coûts environnementaux, sanitaires et économiques. Enfin la dégradation évidente de la qualité de l'isolation induirait d'annexer des charges supplémentaires aux occupants des logements et poserait la question de la réduction du pouvoir d'achat des ménages en difficulté, principales victimes collatérales de cette ordonnance. »
Avis d'expert - André Pouget, Dirigeant du Bureau d'études thermiques et fluides POUGET Consultants
Interrogé sur le bien fondé des ordonnances de la Loi ESSOC, André Pouget approuve d'emblée les objectifs de simplification des règles du secteur de la construction pour notamment favoriser l'innovation, « Qui peut s'en plaindre ? », mais il nuance son avis de deux considérations essentielles : la santé de l'occupant, d'une part, et les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique d'autre part.
Concernant l'aspect “santé”, André Pouget explique très clairement que « Si on isole un bâtiment de façon non continue, sans traiter correctement les ponts thermiques, la vapeur d'eau va se condenser sur ces parties froides formant des moisissures. Celles-ci vont libérer des spores dégradant la qualité de l'air intérieur, dont l'inhalation peut engendrer des problèmes de santé. » Et de poursuivre « Quelle que soit la volonté de simplifier, d'innover, on ne doit pas le faire au détriment de la santé des occupants. »
D'un point de vue environnemental, André Pouget rappelle que l'Accord de Paris sur le climat, conclu à l'issue de la COP21, vise à limiter le réchauffement global de la planète en-dessous de 2 °C à l'horizon 2100, avec pour feuille de route notamment « La neutralité carbone à l'horizon 2050. » Pour atteindre cette cible, deux solutions indissociables selon André Pouget : « Réduire les émissions de carbone et trouver des solutions de stockage, tout simplement... »
« Pour réduire au maximum les émissions, on sait ce qu'il faut faire », souligne André Pouget. « En passage obligé, il s'agit de construire (ou rénover) des bâtiments à faibles besoins donc faibles émissions carbone. À cet effet, le bâtiment devra être très bien isolé et (et non « ou ») doté de systèmes performants avec recours aux ENR. » André Pouget précise : « La qualité du bâti a une durée de vie de quelques décennies ! Les bâtiments construits aujourd'hui seront encore présents en 2050 et si on sous-estime l'isolation au profit du seul équipement, il ne sera pas possible d'atteindre les objectifs. » Et de conclure : « Construisons aujourd'hui des bâtis de qualité durable pour éviter d'avoir à les rénover plus tard, construisons des bâtiments compatibles à la cible 2050 ! On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas à nos enfants ! »
Une expertise hors pair... Schöck France, filiale basée à Entzheim (près de Strasbourg), développe et commercialise un ensemble de solutions ultra-performantes de traitement de ponts thermiques. La gamme Schöck Rutherma® / Isokorb® répond aux différents défis des constructions en proposant des solutions sur mesure pour des liaisons béton-béton, béton-acier, acier-acier ou encore béton-bois. Schöck affiche un chiffre d'affaires annuel de 179,9 millions d'euros en 2017 et une présence commerciale dans 31 pays.