Les ministres de l'Economie et du Logement ont confirmé mercredi une fermeture "cet été" du guichet de dépôt des dossiers de demande d'aide MaPrimeRénov' pour les rénovations énergétiques globales et les travaux d'isolation et de remplacement de chaudière ponctuels.
Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment (FFB), juge la décision du gouvernement de fermer ce guichet "injustifiable, inqualifiable", risquant de mettre "sur le carreau 100.000 salariés du secteur".
La FFB compte profiter de son congrès national le 13 juin pour "décider des mesures à prendre", indique Olivier Salleron à l'AFP. "Ca va gronder", ajoute-t-il, manifestation, blocage, montage de grues dans des "lieux stratégiques" étant envisagés.
Prêt à participer à la mobilisation, Peter Lehmann, chauffagiste dans les Hautes-Alpes prévient ainsi : "on n'a pas de tracteurs, mais on a des engins". Il craint des conséquences "catastrophiques en termes d'emploi".
Même volonté de protester du côté du syndicat des artisans du bâtiment, la Capeb qui s'organise pour définir "un mouvement" afin de "réagir fortement et dire notre mécontentement", selon son président Jean-Christophe Repon, interrogé par Franceinfo.
La rénovation énergétique représente 30% de l'activité des adhérents de la FFB et 600.000 salariés, selon Olivier Salleron.
"Les TPE, PME, artisans, tout le monde est vent debout. Avec en plus la crise grave et historique du logement neuf, trop c'est trop, on ne va pas se laisser crever sans rien dire", gronde-t-il.
Colère identique chez les fabricants de pompes à chaleur ou chauffe-eau dont certains "suspendent" déjà leurs décisions d'investissement dans des agrandissements d'usine, souligne Teoman Bakoglu, délégué-général adjoint de la FIEEC qui regroupe les industries électriques, électroniques et de communication. "S'il n'y a plus de carnet de commandes, les usines s'arrêtent" a-t-il dit à l'AFP.
Dans un communiqué commun, 19 organisations professionnelles de la rénovation énergétique expriment leur "stupéfaction" et leurs "inquiétudes".
"Sans stabilité du dispositif, a fortiori sans sa pérennisation, et sans sa simplification, ce sont des milliers d'entreprises d'installateurs, d'artisans du bâtiment, de distributeurs et d'emplois industriels qui sont directement fragilisés", dénoncent ces fédérations de professionnels du bâtiment, du chauffage, de l'énergie, de l'électricité ou encore du génie climatique.
Le collectif de fédérations estime que la réunion prévue vendredi au ministère de l'Economie pour discuter du marché de la rénovation énergétique n'a "plus lieu d'être car sans objet désormais" et demande à être reçue par le Premier ministre, François Bayrou.
"Fléau" de la fraude
La suspension concerne uniquement les nouveaux dossiers. "Les dossiers non frauduleux déposés avant la fermeture seront instruits et payés dans les meilleurs délais, et une démarche d'accélération de l'instruction sera mise en place", a précisé le ministère chargé du Logement.
"Les ménages veulent rénover performant. Les artisans sont prêts. Mais l'État, par ces annonces, n'est pas à la hauteur des enjeux sociaux, énergétiques et écologiques", critique Vincent Legrand, président de Dorémi, société spécialisée dans la rénovation énergétique des maisons.
"Les particuliers font leur budget et leurs travaux en fonction de MaPrimeRénov', si demain ils n'y ont plus droit, ils vont rester dans leur passoire" énergétique, s'inquiète Christophe Perrier, à la tête d'une entreprise de maîtrise d'oeuvre spécialisée en rénovation, extension et neuf, Elaborplan. "Les gens n'ont pas les moyens de dépenser des millions".
Cette pause du dispositif est motivée par "un encombrement (de nouvelles demandes, NDLR) en ce moment et un excès des fraudes", selon Eric Lombard, ministre de l'Economie qui évaluent à "16.000" le nombre de "dossiers suspicieux", soit "12% du stock".
Jean-Christophe Repon voit comme une "bonne chose" que le gouvernement s'attaque au "fléau" de la fraude, "à condition que pour une fois il écoute les artisans du bâtiment pour créer les conditions d'un marché de la rénovation énergétique vertueux".
"Ce qui ne pose pas problème, c'est la rénovation par geste", qui désigne la réalisation d'un seul type de travaux de rénovation thermique, "il faut la continuer, elle fait travailler les artisans", réclame Olivier Salleron.
Pierre-Marie Perrin, directeur des affaires publiques du groupe Hellio, entreprise de rénovation énergétique dit comprendre "la volonté du gouvernement d'assainir le dispositif des fraudes massives dont il est victime", mais regrette "la confusion provoquée" par les récentes annonces, "au détriment des acteurs qui la font vivre, avec pour premières victimes les ménages modestes".
Un nouveau coup dur pour les professionnels du bâtiment selon le Syndicat des Indépendants et des TPE (SDI)
Le secteur du bâtiment traverse une crise sans précédent. En 2024, les faillites dans la promotion immobilière ont explosé de 150% par rapport à 2023. Et la tendance ne s’inverse pas : au premier trimestre 2025, les défaillances continuent leur envolée avec une hausse de 21% par rapport à la même période l’année précédente.
Cette hémorragie frappe tout le secteur de la construction, en particulier le second œuvre, qui a vu 8 307 entreprises mettre la clé sous la porte en 2024 (+21% par rapport à 2023). Et 1555 de plus ont suivi au premier trimestre 2025.
C’est dans ce contexte que le gouvernement envisage la suspension, voire l’annulation du dispositif Ma Prime Rénov’ et sa dotation de 3,5Mds€ sur l’année 2025 dont seuls 700.000€ ont été consommés à ce jour, plongeant professionnels et consommateurs dans l’expectative.
Pour Marc Sanchez, Secrétaire général du SDI : « La suspension voire l’annulation de Ma Prime Rénov’ est un signal particulièrement négatif dans le contexte de la crise profonde vécue par les petites entreprises du bâtiment. La situation est kafkaïenne : l’encre de la loi sur la simplification administrative n’est toujours pas sèche qu’une nouvelle loi (loi Cazenave) vient complexifier un dispositif vieux de 5 ans au point de bloquer le système ! On nous parle de « lutte contre la fraude ». Dont acte. Mais les modalités de contrôles nécessaires et légitimes auraient dû être mises en place bien en amont ! C’est aujourd’hui l’ensemble des TPE du bâtiment qui sont pénalisées par les agissements de quelques fraudeurs professionnels. En réalité, ces aides ne servent qu’à compenser les coûts trop élevés subis par nos entreprises. Si les pouvoirs publics ne sont pas en capacité d’anticiper les comportements frauduleux par des procédures adaptées, qu’ils suppriment les aides et baissent nos charges ! Nos entreprises, nos salariés, comme les consommateurs, ne s’en porteront que mieux. »
Forte inquiétude de l’UFME et du SNFA face à la confirmation de suspension de MaPrimeRénov’ par le Ministre de l’Economie
L’Union des Fabricants de MEnuiseries (UFME) et le SNFA, les deux organisations professionnelles représentatives de la filière menuiseries, expriment d’une même voix leur vive inquiétude face aux informations parues dans la presse annonçant la suspension des financements MaPrimeRénov’. Et ce, sans aucune concertation préalable avec les acteurs concernés et avec une mise en application quasi immédiate (délai inférieur à un mois).
Dans un contexte de tension extrême sur le marché du logement neuf, la rénovation constitue actuellement le principal débouché économique pour les entreprises du secteur, même si celui-ci est également en décroissance (- 5,3% par rapport à 2021). Les entreprises de la filière française des portes et fenêtres participent au dynamisme économique de la France. Elles représentent 180.000 emplois non délocalisables répartis dans tout le territoire. Des entreprises qui sont depuis toujours les partenaires des ménages dans leurs travaux de rénovation énergétique. La filière a ainsi été le premier corps de métier du bâtiment à s’engager vers la mention RGE, un label indispensable pour garantir la qualité des travaux de rénovation réalisés. Le marché de la rénovation est donc, pour ces entreprises, un débouché essentiel, d’autant plus important avec la crise du logement neuf.
Considérer ces financements comme un investissement
Au-delà de l’impact positif sur l’environnement, les dispositifs de soutien à la rénovation énergétique doivent être considérés comme un investissement financier et non comme un coût. Ils génèrent en effet des recettes fiscales pour l’État.
La rénovation d’une fenêtre coûte entre 800 € et 1000 € (fourniture et pose) :
- Montant de la subvention MaPrimeRénov’ entre 50 € et 100 €
- Recettes fiscales et cotisations sociales perçues par l’Etat pour ce mono-geste atteignent 285 €
Rien que pour la TVA, ces recettes représentent entre 310 et 365 millions d’euros par an.
Créer un passeport de la rénovation énergétique
Il est également important de rappeler que le remplacement des fenêtres déclenche très souvent d’autres travaux de rénovation, qui génèrent eux-mêmes des recettes fiscales. Pour répondre à cet enjeu de manière concrète et constructive, l’UFME réaffirme sa proposition présentée dans son Manifeste en faveur d’une politique durable de rénovation des logements : mettre en place un « passeport travaux de la rénovation énergétique » en lieu et place du Parcours Accompagné. Dédié aux logements de classes énergétiques D, E, F et G, ce passeport permettrait aux ménages de réaliser, sur une période pouvant aller jusqu’à trois ans, l’ensemble des travaux préconisés par Mon Accompagnateur Rénov’. Ils planifieraient leurs travaux par étape permettant un soutien progressif et mieux maîtrisé dans le temps par l’État. Le remplacement des fenêtres, geste simple, efficace et réalisable à l’échelle individuelle, y trouverait toute sa place.
Pour Laurent DEMASLES, Président de l’UFME et membre de la Fédération Française du Bâtiment : « Dans l’objectif de massifier la rénovation des logements français, la rénovation globale, soutenue par MaPrimeRénov’ Parcours Accompagné, a été fortement mise en avant. Aujourd’hui, alors que ce dispositif porte enfin ses fruits et devrait permettre à la France de tenir ses engagements environnementaux, le seul mécanisme reconnu par les ménages, efficace et accessible va être suspendu. Je rappelle que 75% de la production de fenêtres est destinée à la rénovation, soit près de 7 millions de menuiseries par an. Cette annonce aura un impact dramatique sur un marché déjà tendu et nos emplois. L’UFME appelle à un dialogue avec les pouvoirs publics, afin de préserver la dynamique actuelle, protéger les entreprises et les emplois, et éviter un recul brutal de la politique de rénovation énergétique. »
Pour Dominique THOMASSON, Président du SNFA et membre de la Fédération Française du Bâtiment : « Il est essentiel que ces aides perdurent et se stabilisent, tant pour les fenêtres que pour les autres solutions, qui permettent aux ménages de réduire leurs factures d’énergie, et d’améliorer le confort de leur habitat. Par ailleurs, on se doit de confirmer à nouveau l’intérêt et l’importance du maintien des fenêtres dans les dispositifs d’aide à la rénovation énergétique. Pour les particuliers comme pour les entreprises ces changements successifs risquent d’induire un désengagement total et immédiat du dispositif vertueux. Nous espérons que le gouvernement saura trouver les solutions pour maintenir la dynamique de la rénovation énergétique. »
Le GERE appelle à une relance rapide et concertée
Le Groupement des Ensembliers de la Rénovation Énergétique (GERE) prend acte de l’annonce faite par la ministre chargée du Logement, Valérie Létard, concernant la suspension temporaire cet été des demandes MaPrimeRénov’. Le GERE appelle la ministre Valérie LÉTARD à prendre des mesures rapides et fortes.
Pour Hugues Sartre, porte parole du GERE : « Nous saluons la volonté du Gouvernement de renforcer la lutte contre la fraude et de sécuriser la qualité des travaux de rénovation énergétique. Toutefois, nous tenons à souligner que l’équilibre de toute la filière dépend désormais du respect strict du caractère temporaire de cette fermeture. »
Pour le GERE, une suspension de plusieurs mois pourrait avoir des conséquences irréversibles pour les entreprises, artisans et structures engagés au quotidien dans la transition énergétique des logements français.
Dans cet esprit, le GERE se tient pleinement à la disposition du Gouvernement pour participer à la définition des nouvelles règles d’instruction et à l’élaboration d’un cadre rénové, plus robuste et plus lisible, qui permettra un redémarrage serein et efficace du dispositif dès septembre 2025.
Les membres du GERE, fortement mobilisés sur le terrain, peuvent apporter leur expertise opérationnelle, leur connaissance des réalités locales et leur engagement pour construire un modèle soutenable de rénovation énergétique, au service des ménages et de la transition écologique.
Le GERE appelle à une concertation rapide, constructive et structurée, afin que cette suspension ne marque pas une rupture, mais bien une transition vers un dispositif renforcé, juste et durable.
Le GERE restera attentif aux prochaines annonces du Gouvernement et pleinement engagé pour contribuer à la relance rapide de la dynamique de rénovation énergétique en France.
Image d'illustration de l'article via Depositphotos.com.