La proposition de loi du sénateur Les Républicains Daniel Gremillet (Vosges) connaît décidément un parcours chaotique au Parlement: adoptée au Sénat en première lecture en octobre, rejetée ensuite à l'Assemblée nationale fin juin, elle est désormais malmenée par les passes d'armes des derniers jours au sommet de l'Etat.
La coalition gouvernementale est en effet fragilisée par l'opposition frontale entre camp macroniste et droite, depuis que le patron des Républicains - et ministre de l'Intérieur - Bruno Retailleau s'est fendu d'une tribune au Figaro dans laquelle il plaide pour la fin des "subventions publiques" pour l'éolien et le photovoltaïque.
Cela a suffi pour attiser la réprobation de certains de ses collègues du gouvernement, dont le ministre de l'Industrie Marc Ferracci, qui a assuré mardi sur Europe 1 et CNews que "certaines énergies renouvelables, l'éolien terrestre en particulier, sont aussi compétitives (...) que le nucléaire existant".
Inspiration sénatoriale
Le Premier ministre François Bayrou et le président de la République Emmanuel Macron étaient eux aussi montés au créneau pour appeler à la discipline ces derniers jours.
Les débats au Palais du Luxembourg permettront aux uns et aux autres de rappeler leur position.
Les Républicains y sont en force, et les observateurs les plus avisés du Parlement n'ont pas oublié que le nom de Bruno Retailleau figure parmi les principaux signataires du texte de loi, déposé lorsqu'il siégeait encore au Sénat.
"Il n'y a absolument pas de contradiction entre la tribune de Bruno Retailleau et la proposition de loi, car le financement des énergies renouvelables relève du projet de loi de finances. C'est là que des choix seront à faire", a insisté le sénateur LR Alain Cadec, corapporteur sur le texte débattu mardi.
Pour ce vote attendu en fin de soirée mardi, le Sénat a les cartes en main, après le rejet de l'ensemble du texte par l'Assemblée nationale.
Le texte y avait été dénaturé durant les débats à l'initiative notamment du Rassemblement national et des Républicains : un amendement de ces derniers instaurant un moratoire sur les énergies éolienne et solaire avait mis le feu aux poudres, convainquant les groupes de l'ancienne majorité macroniste de voter contre l'ensemble du texte.
En seconde lecture, cette disposition ne peut plus être mise au débat en raison des règles de procédure parlementaire.
En attendant la PPE
Le Sénat n'y était de toute façon pas favorable, même s'il a voté en commission un amendement précisant, sur l'éolien terrestre, la nécessité de "privilégier le renouvellement des installations existantes" plutôt que l'implantation de nouveaux projets.
Dans la lignée de la tribune de Bruno Retailleau, un autre amendement sera soumis mardi soir pour demander au gouvernement une évaluation du financement des diverses énergies, notamment renouvelables.
Pour cette deuxième lecture, les sénateurs ont par ailleurs choisi de condenser la proposition de loi en supprimant une douzaine d'articles, soit environ un tiers du texte, privilégiant le volet programmatique par rapport aux mesures de simplification. L'objectif: accélérer la navette parlementaire.
Un consensus semble émerger entre Sénat, Assemblée nationale et gouvernement sur les deux articles phares du texte.
D'une part sur la relance massive du nucléaire, avec notamment la construction de 14 nouveaux réacteurs; d'autre part sur l'essor des énergies renouvelables, avec l'objectif de porter, d'ici 2030, à 58% au moins la part d'énergie décarbonée de la consommation d'énergie en France, contre environ 40% actuellement.
Cette loi, fustigée par une grande partie de la gauche, doit inspirer le gouvernement dans la finalisation de sa programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), la trajectoire énergétique qu'il entend publier prochainement par décret.
Les sénateurs, leur président Gérard Larcher en tête, espèrent que le gouvernement attendra le retour du texte à l'Assemblée, fin septembre, avant de publier son décret, qui doit consacrer la rupture avec la précédente PPE adoptée en 2020, marquée à l'époque par la fermeture de 14 réacteurs.
Les partisans du tout nucléaire face aux renouvelables
Les sénateurs discutent mardi de la proposition de loi Gremillet sur la trajectoire énergétique de la France, au moment où des partisans du tout nucléaire, à droite et à l'extrême droite, veulent affaiblir les renouvelables.
Le gouvernement prône un recours aux deux afin de réduire la dépendance aux combustibles fossiles - pétrole et gaz - qui coûtent cher en importations (plus de 64 milliards d'euros en 2024), réchauffent la planète et obligent à compter sur d'autres pays. Retour sur les principaux griefs contre les énergies renouvelables.
Qu'est-il reproché à l'éolien et au solaire ?
Leur intermittence : sans vent ni soleil, les énergies renouvelables (ENR) ne produisent pas d'électricité. Et inversement, quand la demande est trop faible, elles peuvent générer des surplus, parfois accompagnés de prix négatifs.
Les producteurs doivent alors payer pour injecter leur électricité dans le réseau tandis que l'État doit l'acheter à un prix fixé à l'avance, ce qui pèse sur ses finances. Pour limiter ce coût, les éoliennes en mer devront désormais s'arrêter en période de prix négatifs.
D'autres solutions existent: l'évolution des heures creuses/heures pleines, comme prévu à partir de cet automne, et le stockage par batteries, encore embryonnaire, pour absorber la production en surplus.
Les opposants aux renouvelables affirment aussi que leur développement excessif ferait courir le risque d'un black-out, comme en Espagne fin avril - mais cette piste n'a pas été confirmée par le gouvernement espagnol.
Ils font aussi valoir que la montée en puissance des ENR ne permet pas à EDF d'optimiser son parc nucléaire.
Enfin, ils assurent qu'elles sont rejetées par les Français. Mais selon un sondage Ifop d'avril réalisé pour Engie, producteur d'énergie renouvelable, le solaire est perçu favorablement par 89% des Français et l'éolien par 78%.
Bataille sur le coût
Le Rassemblement national évalue le développement des ENR à 300 milliards d'euros dans la prochaine programmation énergétique 2025-2035: plus de 100 milliards en subventions et 200 milliards pour leur raccordement au réseau.
L'État garantit bien un prix d'achat de l'électricité verte afin d'assurer la rentabilité des projets, ce qui représente un soutien public de 100 milliards d'euros, mais il s'agit d'"une estimation maximaliste" étalée "jusqu'en 2060", selon François Bayrou.
Les gestionnaires RTE et Enedis ont de leur côté engagé des plans d'investissement, respectivement de 100 et 96 milliards d'euros d'ici 2040, pour adapter les réseaux électriques aux aléas climatiques et accompagner la décarbonation de l'économie.
Dans ce cadre, RTE va consacrer 53 milliards aux raccordements des futurs parcs éoliens en mer ainsi que des nouveaux réacteurs nucléaires, usines et centres de données. Pour Enedis, sur les 96 milliards prévus, seuls 10 sont dédiés aux ENR.
Le nucléaire peut-il être la réponse à tout ?
Les réacteurs produisent plus de 65% de l'électricité générée en France mais le nucléaire présente aussi des faiblesses.
En 2022, la crise de la corrosion sous contrainte avait contraint à l'arrêt de nombreux réacteurs pour des réparations ou des contrôles, menaçant la France de coupures électriques.
Lors des vagues de chaleur, plus fréquentes avec le réchauffement climatique, la production doit parfois être réduite pour respecter les seuils de température et de débit des cours d'eau servant au refroidissement des réacteurs.
Et si le nucléaire "historique" est aujourd'hui entièrement amorti, le programme EPR2, qui prévoit la construction de six nouveaux réacteurs, a déjà vu sa facture prévisionnelle s'envoler de 30%, de 51,7 à 67,4 milliards d'euros, et la mise en service du premier réacteur décalée de 2035 à 2038.
Dans un rapport de janvier, la Cour des comptes se montrait sceptique sur la crédibilité du programme au vu des précédents surcoûts et retards dans les chantiers d'EPR d'EDF.
Celui de Flamanville (Manche) a été raccordé au réseau électrique fin 2024 avec douze ans de retard et une facture totale de 19,3 milliards d'euros aux conditions de 2015, selon EDF, soit six fois le devis initial.
Reste la gestion des déchets nucléaires. Le projet Cigéo d'enfouissement des déchets les plus radioactifs à Bure (Meuse) pourrait coûter davantage que les 25 milliards jusqu'ici envisagés, selon l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Et la Cour des comptes a alerté récemment sur l'urgence de trouver une solution de stockage pour les déchets faiblement radioactifs accumulés au cours des décennies.
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