Favoriser la mixité dans les quartiers populaires, un horizon parfois questionné

"Les politiques de rénovation urbaine ont été fondées sur le mot d'ordre de +casser les ghettos+ que seraient devenus les quartiers populaires, dont le principal problème serait le peuplement, avec comme solution la mixité sociale", a rappelé le sociologue Pierre Gilbert lors des Journées nationales de l'Anru, organisées jusqu'à jeudi à Paris.

Sur le papier, l'intention était de faire revenir les classes moyennes dans les quartiers défavorisés en démolissant les tours et barres d'immeubles qui concentrent le plus de difficultés.

A charge pour la collectivité d'oeuvrer à diversifier l'habitat en introduisant logement locatif privé ou en accession à la propriété, et pour l'Anru de reconstituer des logements sociaux en dehors de ces quartiers.

Vingt ans après les premières spectaculaires opérations de démolition, il y a toujours "de la ségrégation ethno-raciale et socio-économique dans ces quartiers, sans qu'on puisse toutefois parler de ghetto à l'américaine", souligne Pierre Gilbert.

Un constat que dresse également le rapport "Ensemble, refaire la ville" sur l'avenir de l'Anru, remis en février, pour qui la "ségrégation socio-spatiale s'est accrue en France".

"La gentrification n'est pas arrivée et les quartiers populaires restent populaires", confirme le sociologue Renaud Epstein. Ce qui ne serait "pas un problème en soi" selon lui, si leurs habitants bénéficiaient d'un bon niveau de services publics et si leur origine géographique ne leur portait pas préjudice, notamment pour accéder à l'emploi.

A L'Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), le maire écologiste Mohamed Gnabaly a fait le choix de démolir trois tours et de reconstruire en moins dense.

"On a posé les jalons de la mixité sociale, avec 30% de logements sociaux, 10% de bail réel solidaire et 60% de logements en accession libre", témoigne-t-il tout en reconnaissant que la mixité résidentielle ne crée pas à elle seule de lien entre les habitants.

"Mixité plus déterminante à l'école"

Cédric Van Styvendael, maire socialiste de Villeurbanne (Rhône), appelle lui à "arrêter de brandir l'étendard de la mixité comme si c'était une baguette magique".

"Si on veut faire de la mixité et arrêter d'avoir des ghettos de pauvres, il faut arrêter les ghettos de riches", observe-t-il, jugeant que les projets Anru qui fonctionnent "ont été accompagnés d'une politique de production de logements abordables dans d'autres quartiers".

Interrogée par l'AFP, la directrice générale de l'Anru Anne-Claire Mialot estime aussi qu'il y a aujourd'hui "consensus" sur le fait que la mixité sociale tient d'abord "à l'application de la loi SRU (qui impose aux communes urbaines un pourcentage minimum de logements sociaux, ndlr) et à la construction de logements sociaux dans les quartiers où il n'y en a pas".

Selon elle, l'objectif de mixité "ne peut pas uniquement reposer sur les épaules des habitants des quartiers" et s'il reste une "ligne de mire" politique, il faut plutôt aujourd'hui "lutter contre la ségrégation sociale", avec des équipements publics et des aménagements urbains de qualité dans les quartiers.

Pour certains chercheurs, la focalisation de l'Anru sur la mixité au début des années 2000, via des démolitions parfois très mal vécues par les habitants, s'apparente à un "dogmatisme" au détriment du droit au logement.

"La mixité sociale dans l'habitat est un leurre, elle est beaucoup plus déterminante à l'école", assure de son côté Renaud Epstein, pour qui les leviers consistent à "réguler l'école privée".

Le sujet fait d'autant plus débat que les ménages les plus fragiles préfèrent souvent rester dans leur quartier où ils entretiennent des solidarités de proximité.

"A quel titre on viendrait leur dire qu'on va réhabiliter le quartier mais qu'il faut partir ?", interroge Cédric van Styvendael, pour qui les enjeux de mixité sont également "beaucoup plus présents à l'école".

Si diversifier l'habitat des quartiers fait bien partie selon lui des objectifs de l'Anru "pour ne pas concentrer toutes les difficultés au même endroit", cela suppose aussi "que d'autres politiques publiques fonctionnent, celles de l'école, de la sécurité, de la santé ou de l'emploi".

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