Munis de blouses blanches réglementaires, casques, lunettes de protection et chaussures de chantier, Ludovic Friscour et son collègue Ryan balisent leur chantier avant d'entrer en zone orange réglementée, au risque d'exposition nucléaire élevé (plus de 2,5 millisievert/heure).
Leur mission: intervenir pour resserrer un boulon sur une machine de la centrale. Une tâche simple, mais dans cette zone où ils risquent irradiation ou contamination, chaque geste compte. Ou plutôt compterait, s'ils n'étaient pas dans une fausse centrale, reproduite à l'identique dans les locaux de Socotec.
La centrale-école, située à quelques kilomètres de la centrale de Gravelines, accueille chaque année 2.500 élèves, de tous âges et profils. Socotec se partage avec onze autres organismes l'énorme tâche de former chaque année 70.000 personnes d'une filière nucléaire en pleine expansion.
Car il est obligatoire d'être certifié pour mettre un pied dans la "zone contrôlée" d'une installation nucléaire - centrales EDF, sites d'Orano, installation du CEA -, via une formation initiale de 11 jours, mais aussi d'effectuer une remise à niveau ("recyclage") tous les trois à quatre ans.
"Donner les bons gestes"
Les formations débutent par des sessions théoriques le matin. Dans une salle de classe, cinq jeunes n'ayant jamais travaillé en centrale écoutent Sylvie Brevalle. "On parle beaucoup de règles, de culture sûreté pour qu'ils connaissent les risques", explique-t-elle à l'AFP, "Notre objectif, c'est de protéger les personnes qui travaillent dans la centrale et celles habitant autour".
"Je me sens rassuré pour la suite", déclare Sandro Coghe, monteur-échafaudeur de 21 ans, envoyé par son entreprise d'intérim avant une mission. A Dunkerque, "c'est un peu la base" de travailler dans le nucléaire, "mais j'ignorais jusqu'au fonctionnement d'une centrale".
Dans la salle voisine, Florence Pirard délivre la formation en radioprotection niveau 2. Débit de dose, zone verte Alara, millisieverts, dosimètre : ici le vocabulaire est plus technique, et les élèves, qui travaillent déjà en centrale et visent des fonctions d'encadrement, ont mille questions.
L'après-midi, c'est travaux pratiques : le petit groupe enfile les tenues de protection et pénètre sur le plateau qui simule un îlot nucléaire, des vestiaires aux zones d'intervention. "On recrée les conditions de la centrale pour donner les bons gestes", explique Mme Pirard.
Avant de resserrer le boulon, les deux élèves désignés repèrent une vis sur le sol. Il faut évacuer ce "corps étranger", il pourrait être irradiant ! Leur mission accomplie, ils sortent de la zone orange... sans prendre toutes les précautions.
"Tu n'aurais pas oublié quelque chose, Ryan ?", lance Florence Pirard. "Si", lance-t-il penaud: "J'ai oublié de contrôler si j'étais contaminé". Il passe alors une sonde sur son corps et la formatrice, joueuse, enclenche l'engin via sa tablette. "Bip ! Bip ! "T'es contaminé au pied !".
"Domaine attractif"
"C'est rassurant, ces formations", "c'est bien d'avoir un regard extérieur" pour "corriger les mauvaises habitudes", glisse Ludovic Friscour. Au bout de six ans de centrale, l'ingénieur de 33 ans concède "aller un peu vite" lors de certains contrôles.
"Globalement c'était pas mal, puisqu'ils ont vu les pièges et rempli les conditions d'accès", juge Florence Pirard à la fin de l'exercice. Le contrôle continu est important côté pratique, mais les élèves devront aussi réussir un test théorique en fin de stage.
"De plus en plus de personnes rentrent dans le nucléaire, c'est un domaine attractif", explique à l'AFP Pierre Kwiatkowski, directeur du centre de formation, "l'objectif c'est de pouvoir proposer suffisamment de formations".
D'autant plus avec la relance du nucléaire, le gouvernement prévoyant six nouveaux réacteurs EPR - le premier devrait arriver au mieux en 2035 – et devant en annoncer huit autres d'ici l'été. Il faudra donc continuer la formation actuelle, mais aussi subvenir aux besoins des futurs EPR, chiffrés à 100.000 embauches sur dix ans.
"On va devoir anticiper le nombre de formateurs", explique M. Kwiatkowski, qui en recrute déjà trois par an. "C'est un coup d'élan redonné à la filière en général", et à la formation en particulier.