Dans ce contexte, l’ADEME publie l’étude « Le secteur du bâtiment et de l’immobilier de crise en crise. Analyses sur la période 2020 – 2023 ». Celle-ci fait le point des évolutions de ces trois dernières années de crises et propose une vision à 360° des tendances du secteur du bâtiment et de l’immobilier. Enfin, l’étude dresse la liste des opportunités et des menaces générées par ces années de crises en matière de transition écologique des bâtiments.
Pour Cécile GRACY de l’ADEME : « Si l’étude s’est achevée avant le pic de la crise de la construction neuve, beaucoup commentée ces derniers mois, elle en a capté les prémisses. Les témoignages d’acteurs de la filière recueillis montrent leurs interrogations sur le modèle financier des investissements immobiliers, les réallocations d’actifs du tertiaire vers le résidentiel, les opérations de conversion foncière, le recyclage urbain... La transition écologique devient un relais de croissance pour répondre au cadre réglementaire et à la demande, à condition d’avoir la capacité à mettre en place les innovations techniques et organisationnelles nécessaires (prise en compte du ZAN, des risques climatiques, de la biodiversité...). »
Les crises comme catalyseurs d’une démarche de transition écologique…
La crise énergétique début 2022 a nettement orienté les comportements individuels et collectifs vers des attitudes plus sobres. Ainsi, 55% des ménages interviewés à l’hiver 2023 déclaraient avoir baissé la température de leur logement pour faire des économies d’énergie.
Si la crise inflationniste impacte à la baisse les travaux des particuliers, ceux-ci sont davantage orientés vers les économies d’énergie. Près d'un quart des ménages qui maintiennent leurs projets de travaux les réorientent vers des gestes de rénovation énergétique afin de faire des économies. Enfin, le DPE et autres audits énergétiques occupent désormais une place centrale dans les choix des acquéreurs ou locataires. Bientôt, il sera interdit de louer les biens qualifiés de passoires thermiques, nécessitant le respect de la réglementation sur les passoires classées F et G.
En parallèle, l’étude identifie des aspirations en matière de logement dont la recherche d’une autonomie accrue. La tendance au faire soi-même s’est confirmée. Si l’implication des particuliers dans la réalisation des travaux plus techniques et ambitieux est moindre que pour ceux relevant d’un simple entretien ou embellissement du logement, elle demeure significative sur certains postes de travaux. Plus de 40% des propriétaires occupants concernés par des travaux d’isolation des parois se sont impliqués dans leur réalisation, en autonomie ou en coopération avec des professionnels ou des personnes de leur entourage possédant les compétences nécessaires. Concernant les équipements, le taux de remplacement des chaudières a baissé significativement, de 17% à 12% des travaux de rénovation énergétique, entre fin 2022 et fin 2023, au bénéfice de l’installation de pompes à chaleur réversibles qui ont progressé de 9 à 15%. Enfin, cette étude souligne le développement spectaculaire de l’autoconsommation énergétique à la suite de la crise sanitaire. Alors qu’avant 2020 il avait fallu quatre ans pour arriver à 100.000 installations chez des particuliers, dans les six mois qui ont suivi la fin de la pandémie de la COVID-19, ce sont 150.000 installations qui ont été enregistrées.
Les 5 familles de tendances du bâtiment et de l’immobilier
- Les tendances à dynamiser : des évolutions favorables à la transition écologique, en forte dynamique sur les 3 dernières années, telles que la baisse des surfaces de bureaux, la place plus importante du DPE dans les choix des ménages ou encore l’adoption des gestes de sobriété ;
- Les tendances à conforter : des évolutions favorables à la transition écologique mais dont la dynamique est à appuyer. À titre d’exemples, le développement de l’autoconsommation énergétique, les réflexions sur la réversibilité des bâtiments en lien avec les modifications des usages ou encore les nouveaux entrants sur le marché de la rénovation énergétique ;
- Les tendances à accompagner : des évolutions structurantes qui ralentissent la transition écologique, telles que les tensions de recrutement, l’enjeu de qualité des travaux ainsi que les inégalités sociales face à la rénovation des logements ;
- Une tendance à observer : s’agissant du télétravail, une évolution marquée dont l’impact sur la transition écologique est encore à consolider ;
- Les tendances à surveiller : des évolutions aujourd’hui à l’état de signaux faibles mais qui pourraient s’avérer défavorables à la transition écologique si elles montaient en puissance, comme le renforcement de la périurbanisation et le développement de la bi-résidence.
Des parties prenantes qui doivent être accompagnées pour assurer la pérennité de la transition écologique
La tension sur les métiers de la rénovation était préexistante aux crises et celles-ci n’ont fait que les aggraver : volume significatif de démissions lors de la période du COVID-19, effet de saturation de la filière de la rénovation énergétique, assorti d’un retournement brutal de conjoncture pour certains segments du marché. Autant de facteurs de déstabilisation, qui rendent d’autant plus difficiles les efforts d’innovation technique et organisationnelle à déployer pour atteindre les objectifs environnementaux et climatiques. La montée en compétence de la filière du bâtiment dans le domaine de la rénovation énergétique tarde à arriver alors même que le secteur souffre d’un manque d’attractivité avec des métiers souvent peu valorisés. Avec 200.000 emplois à créer dès aujourd’hui pour atteindre l’objectif européen de rénovations performantes du “Fit to 55” à horizon 2030, le secteur de la rénovation pourrait devenir un relais de croissance pour les acteurs de la construction neuve via l’intégration progressive d'une plus grande part d’activités de réhabilitation lourde et de rénovation énergétique associée.
Du côté de la demande, d’autres menaces pourraient mettre en péril les ambitions de transition écologique, notamment les difficultés des propriétaires issus de catégories modestes à mettre leur logement aux normes pour respecter la réglementation sur les passoires classées F et G.
Réduire les surfaces de bureaux, adapter les logements : les effets du télétravail
Bien qu’il ne concerne qu’une minorité des actifs, le télétravail impacte les stratégies de gestion des bâtiments, résidentiels et tertiaires. La tendance à la réduction des surfaces de bureaux est déjà nettement identifiée : parmi les organisations de plus de 2.000 salariés interrogées, plus de la moitié l’envisagent et près d’1/5 souhaite se séparer de plus de 30% de leurs surfaces de bureaux.
Une précédente étude[1] de l’ADEME avait montré que dans les logements, l’effet rebond du télétravail était faible car les marges de réduction de la consommation énergétique en cas d’absence du logement étaient à ce jour insuffisamment exploitées. L’employeur pourrait jouer un rôle quant à la diminution des consommations d’énergie transférées au domicile du télétravailleur, avec la distribution d’équipements de gestion de l’énergie au sein du logement. Plus généralement, ceci pose la question de la responsabilité de l’employeur vis-à-vis du bien-être de ses salariés amenés à travailler de plus en plus à leur domicile. S’il évite certains mouvements pendulaires domicile-travail, le télétravail facilite aussi des installations en zones périurbaines ou rurales ayant pour conséquence des déplacements plus longs, encore sans alternative au véhicule individuel ; et peut inciter à rechercher une pièce supplémentaire dédiée dans le logement. Enfin, les consommations d'énergie excessives arrivent en troisième position des constats négatifs des ménages concernant le télétravail, après le manque d'espace et la difficulté à s'isoler.
[1] L’étude ADEME sur le bilan énergétique du télétravail est disponible ici.
Image d'illustration de l'article via Depositphotos.com.