
"L'érosion est un problème depuis de nombreuses années au Suriname", explique à l'AFP le ministre des Travaux publics, Riad Nurmohamed.
Depuis son bureau face à une carte du pays sud-américain de 600.000 habitants, il pointe les différentes digues érigées au fil du temps sur les 380 km de zone côtière.
Au Suriname, 68% de la population vit dans des zones côtières de basse altitude et est exposée à l'élévation du niveau de la mer, selon le Giec, le groupe d'experts du climat mandatés par l'ONU.
Au bout de l'estuaire de la capitale, là où les eaux marron du fleuve Suriname se mêlent à celles, bleues, de l'Atlantique, apparaît encore l'île de Braamspunt. "Une langue de terre qui en raison de l'érosion apparaît aujourd'hui comme une île", observe Marleen Van Charante Stoffelen, responsable de la communication du WWF pour les Guyanes.
C'est là que viennent, peut-être pour la dernière fois, pondre des tortues marines.
L'île se réduit inexorablement sous les yeux de Kiran Soekhoe Balrampersad, guide touristique. "Peut-être encore l'année prochaine, une saison de plus", pourra-t-il gagner sa vie en amenant de nuit des touristes voir pondre des tortues luth et des tortues vertes, "mais après ça plus de plage", souffle-t-il.
"Nulle part où aller"
Au Suriname, "l'érosion s'est accélérée si rapidement qu'en 2020, il a fallu sonner le tocsin", explique le ministre Nurmohamed.
"Certaines zones ne sont pas problématiques car on y a 5, 10, voire 20 kilomètres de mangroves" qui jouent le rôle de tampon. Mais "près de Paramaribo, il n'y a qu'un kilomètre, c'est donc une zone très sensible".
Un programme de plantation de palétuviers a été lancé il y a cinq ans mais n'a pas "marché partout". "Au cours des deux à trois dernières années, l'eau a pénétré avec force dans les mangroves qui ont été détruites", dit le ministre.
En 2024, "il a fallu agir d'urgence (...) et lancer la construction rapide d'une digue pour empêcher l'eau de pénétrer davantage. Sinon, elle atteindra très rapidement la zone de Paramaribo".
Sienwnath Naqal, chercheur à l'université Anton de Kom, spécialiste en changement climatique et gestion de l'eau, est à l'origine des projets de replantation de mangroves.
"Ici les gens ont beaucoup enlevé de mangrove" par le passé pour des cultures agricoles et depuis, "la zone tampon a été perdue", pointe-t-il, évoquant également le dragage de sable à l'entrée de l'estuaire pour assurer l'arrivée au port des bateaux.
Près de Paramaribo, il contemple une vaste étendue d'eau en bordure de route et les piquets de bois alignés où il avait accroché des centaines de pousses. La puissance des vagues, augmentée par le réchauffement climatique, a emporté le substrat de sédiments, mettant leurs racines à l'air.
Le site où le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, était venu mettre les pieds dans la vase en août 2022 pour planter des pousses de mangrove, est désormais englouti par l'océan.
Il appartient à Gandat Sheinderpesad, agriculteur de 56 ans, qui dit n'avoir "plus de travail" car il a "perdu 95% des terres".
Sa maison n'est plus qu'à quelques dizaines de mètres de la nouvelle rive. La construction d'une digue est son dernier espoir. "Je n'ai nulle part où aller. Quand il y aura la digue, je serai un peu plus en sécurité. Pour combien de temps, ça je ne sais pas".
"Maintenant"
A ses côtés, Sienwnath Naqal se dit "désolé". "J'ai fait de mon mieux avec des solutions basées sur la nature" qui en d'autres endroits ont très bien fonctionné, explique l'expert. Il est toutefois persuadé que "les efforts faits ici serviront pour d'autres au niveau mondial".
"Mais la question aujourd'hui est comment défendre Paramaribo", recadre-t-il face à l'urgence.
Les 4,5 kilomètres de digue nécessaires, d'un coût de 11 millions de dollars, seront financés par l'État.
"Comme c'est urgent, c'est sur nos propres fonds. Si vous allez voir des donateurs, il faudra des années avant de commencer la construction. Nous n'avons pas le temps d'attendre, nous serons inondés", indique le ministre.
Mais le petit pays pauvre, qui espère à partir de 2028 des revenus de l'exploitation pétrolière off-shore, sait qu'il devra multiplier les plans de protection.
"Je ne sais pas où nous trouverons les fonds nécessaires pour améliorer toutes les digues. C'est un montant énorme, un investissement colossal. Et c'est un problème auquel nous devons faire face dès maintenant", dit M. Nurmohamed.