"C'est une première mondiale qui démarre en France", a annoncé Patrice Richard, directeur de la distribution du groupe: un programme de masse visant à réutiliser à partir de 2023 la terre d'excavation de chantiers, aussi bien pour bâtir des maisons individuelles que des immeubles à étage.
A l'origine, le groupe cherchait depuis 2019 à répondre à la demande d'un des plus grands aménageurs publics d'Europe, Euroméditerranée, qui pilote la rénovation des quartiers déshérités du nord de Marseille.
"Ils nous ont dit: +Le gouvernement et les normes françaises nous imposent du bois et des matériaux biosourcés pour faire baisser les émissions de CO2 de la construction, mais nous n'avons pas de bois: que peut-on faire avec de la terre? Parce que nous avons de la terre+", se souvient M. Richard.
En alliant ses forces de recherche, ses usines et son réseau de distribution de matériaux Point P, Saint-Gobain a imaginé la possibilité de remplir des murs à ossature de bois avec un "béton de terre" projeté ou coulé, ou de construire avec des parpaings composés de terre, d'un liant à base de déchets de sidérurgie, de concassage de béton recyclé et de végétaux comme le chanvre.
Des idées au Maroc
Outre le fait qu'elles sont économiques, les maisons en torchis ou en pisé, que l'on trouve du Maroc à l'Amérique latine en passant par le Sahara ou le Yémen, ont trois qualités: elles offrent un meilleur confort en été et en hiver, une meilleure hygrométrie, et une meilleure isolation phonique.
Autant de facteurs issus des cultures traditionnelles très recherchés pour adapter la construction moderne au réchauffement climatique, tout en faisant baisser les émissions carbone du secteur de la construction, alourdies par celles de la fabrication du ciment. A lui tout seul, le ciment émet trois fois plus de carbone que le transport aérien.
Le béton de terre, s'il ne permet pas encore de bâtir des murs porteurs, pourrait aussi permettre de réduire les consommations de sable, de plus en plus rare, soulignent ses promoteurs.
"Nous sommes allés prendre des idées au Maroc", précise M. Richard. "Ce que nous ne pouvions pas répliquer, ce sont des murs aussi épais que là-bas, et surtout nous devions trouver une solution demandant moins de main-d'oeuvre."
Avec la technique de projection de béton de terre dans une structure porteuse en bois, on débouche sur un bâtiment "négatif en carbone", assure-t-il.
Cette technique devrait aussi permettre de consommer moins d'énergie pour chauffer ou rafraîchir le bâtiment puisque la terre a la capacité de stocker la chaleur en été (au moins 15 heures), de freiner le froid en hiver, d'aspirer l'humidité quand il y en a trop, ou en rejeter si l'air est trop sec.
Maisons "test"
"A condition de ne pas l'utiliser en façade", avertit néanmoins Manu Foucher, façadier qui craint les lézardes et craquellements dus à la sécheresse, malgré le chanvre incorporé dans la recette pour limiter le retrait de la terre lorsqu'il fait sec.
A l'utilisation, avec un camion-pompe qui remplit de béton de terre l'ossature-bois, M. Foucher trouve "qu'on gagne du temps sur le chantier". Saint-Gobain s'est engagé à lancer des programmes de formation pour les artisans.
Pour l'instant, une poignée de maisons "test" sont prévues en France et le groupe a signé deux projets d'immeubles dont la construction devrait démarrer en 2023.
Côté coûts, le projet "était surnommé Dacia au début", du nom de la voiture à bas coût de Renault qui s'est avérée un succès commercial, explique M. Richard. "Un mur fourni et posé ne devait pas coûter plus qu'un mur de base" en béton, sinon il ne pourrait jamais prendre son envol, souligne-t-il.
"Les fabricants de béton ne sont pas des concurrents, ce sont des partenaires, car nous les aidons à décarboner les immeubles, et on ne pourra pas se passer de la portabilité des bâtiments (les fondations en béton armé), mais grâce à la terre on pourra être conforme aux nouvelles normes de construction françaises RE2020", espère Michel Daniel, directeur aménagement et ville durable chez Saint-Gobain.