Le climat d’incertitude (guerre commerciale tarifaire menée par Trump, conflits armés…) brouille la lisibilité conjoncturelle et attise les inquiétudes des agents économiques, notamment des ménages, dont les projets d’investissement s’émoussent face à l’évolution plus préoccupante de leur solvabilité et de la croissance économique. Et ce ne sont pas les premières annonces de François Bayrou pour le PLF 2026 qui vont lever les pesanteurs sur la confiance et l’activité : surtout orientées vers les ménages et les collectivités locales, les « économies » de ce Plan de consolidation budgétaire (43,8 Mds d’euros en 2026) seraient peu propices à l’activité constructive du BTP. Si la « copie » sera sans doute largement remaniée d’ici l’hiver, le signal d’un contexte budgétaire désormais beaucoup plus restrictif est donné et confirme la faiblesse des marges de manœuvre pour un soutien public à la filière constructive, pourtant très éprouvée par la crise. Pour l’heure, les rythmes de repli de l’activité matériaux se modèrent, en lien avec des indicateurs « bâtiment » en redressement depuis fin 2024 et un secteur TP en croissance. Mais la moins bonne orientation des derniers mois nous invite à modérer la confiance pour le second semestre et à revoir à la baisse nos perspectives pour 2025.
Chiffres clés
Au premier semestre 2025, l'activité du BPE recule encore de -4,2% sur un an tandis que celle des granulats progresse de +0,8%.
Le deuxième trimestre marque le pas
Après un mois d’avril un peu décevant, l’activité des matériaux s’est plutôt maintenue en mai avant de décrocher en juin. Ainsi, selon les données encore provisoires de mai et juin, la production de granulats aurait reculé de -2,6% sur un an en juin, en dépit d’une stabilisation par rapport au mois précédent (données CVSCJO). Pourtant, en mai, l’activité avait un peu progressé sur un an (+2,2%). Il n’empêche… La production du deuxième trimestre, en repli de -1,3% sur un an, a dévissé en comparaison de celle du premier trimestre qui affichait une hausse de +3% sur un an. Entre les deux trimestres, l’activité granulats a cédé -5,7%. En cumul sur les six premiers mois de l’année, la tendance reste haussière (+0,8% sur un an) tandis que, en cumul sur douze mois glissants, le rythme reste légèrement négatif, à -0,4%. Du côté du BPE, la même inflexion est constatée. Après un mois d’avril mal orienté, les livraisons de mai ont quasiment stagné (+0,3% sur un mois et +1,1% sur un an, données CVSCJO), avant de fléchir en juin ; les livraisons se sont contractées de -4,5% par rapport au mois de mai et -9,1% en comparaison de juin 2024. Ainsi, au deuxième trimestre, l’activité BPE a perdu -4,7% sur un an, alors qu’au premier trimestre, le repli était de -3,7%. Le décrochage entre les deux trimestres atteint -3,1%. Au total, à la fin du premier semestre, les livraisons de BPE reculent encore -4,2% sur un an, tandis que la tendance du cumul sur douze mois lissants affiche -6,5% à fin juin. L’indicateur Matériaux, seulement disponible sur quatre mois, s’est replié de -0,3% en avril par rapport à mars et de -2,1% sur un an (données CVSCJO). Sur les trois mois de février à avril, l’index cède -2,2% par rapport au trimestre précédent et -2,5% sur un an. L’activité du panier matériaux cumulée sur les quatre mois de 2025 perd ainsi -1,2% (contre -0,9% au premier trimestre). Sur douze mois glissants, le recul continue toutefois de se modérer, à -3,8% à fin avril contre -5,2% à fin janvier… une tendance à surveiller ces prochains mois.
Bâtiment et TP : horizon assombri
Selon l’enquête mensuelle de l’INSEE menée auprès des professionnels du bâtiment, le climat des affaires se serait légèrement dégradé en juin après le rebond de mai lié à l’amélioration sensible des perspectives d’activité, notamment dans le gros œuvre. Dans ce même segment, le jugement sur les carnets de commandes continue d’ailleurs de se redresser de même que la tendance prévue des effectifs qui reste au-dessus de sa moyenne de long terme. Au-delà des effets de décalage difficiles à apprécier, ces tendances tranchent un peu avec les derniers chiffres de mises en chantier qui, sur mars-avril-mai, auraient plongé de -11,7% en comparaison des trois mois précédents (-3,3% comparé à la même période d’il y a un an). Le rythme de redressement des mises en chantier ralentit : en hausse de +9,3% sur un an au premier trimestre, ils ne gagent plus que +1,6% en cumul à fin mai, sur un an. Sur douze mois, on recensait ainsi 284.200 logements commencés, soit à peine plus que les douze mois précédents (+0,8%). A l’inverse, point encourageant, les autorisations continuent de croître. De mars à mai, elles augmentaient de +22,4% sur un an et de +11,8% par rapport aux trois mois précédents (données CVS-CJO), une croissance partagée par le segment de l’individuel comme celui du collectif. En cumul sur douze mois à fin mai, le nombre de permis déposés (346.300) était certes encore inférieur de -2,7% à celui des douze mois précédents. Mais, depuis le début 2025, le redressement s’accélère : après une hausse de +4,6% sur un an, au premier trimestre, la hausse atteint +12,7% sur les cinq premiers mois de l’année (dont +7% pour l’individuel et +15,9% pour le collectif).
Du côté des locaux d’activité, la bonne orientation des permis se confirme aussi. Amorcée mi-2025, la hausse des autorisations dans le non-résidentiel se poursuit début 2025 : après +6,2% sur un an au premier trimestre, les permis ont grimpé de +3,5% sur un an de mars à mai, laissant le cumul sur les cinq premiers mois de 2025 à +5,2%. Les segments de l’industrie et de l’agriculture tirent désormais la tendance, le tertiaire demeurant en repli tandis que le secteur public décline depuis le premier trimestre. En revanche, les mises en chantier non résidentielles sont toujours à la peine… À fin mai, elles diminuent encore de -1,2% sur trois mois et de -8,5% en cumul douze mois.
La dynamique des permis, logements et locaux, semble donc se déconnecter de celle des mises en chantier. Plus en amont sur les marchés résidentiels, les transactions dans le segment neuf semblent aussi donner quelques signes d’essoufflement. Certes, les ventes des promoteurs avaient déjà un peu marqué le pas au premier trimestre (les données du deuxième trimestre ne seront disponibles que le 20 août), mais celles des constructeurs de maisons individuelles résistaient plutôt. Cependant, selon Markemétron, le mois de mai a été un peu décevant car le repli des ventes, traditionnel pour un mois de mai, a été beaucoup plus marqué cette année. Pour autant, les transactions de mars-avril-mai affichent encore une hausse de près de +40% sur un an. Avec 57.500 ventes sur les douze derniers mois (soit +14,9% sur un an dont +34% sur les cinq premiers mois de 2025), l’Institut se montre plutôt confiant pour 2025 (68.000 ventes attendues, soit +34%). Mais la prudence reste de mise…
Dans un contexte politico-économique agité, les craintes sur le pouvoir d’achat et le chômage pourraient rendre les acheteurs plus frileux, ce d’autant que les conditions de crédit vont cesser de s’améliorer ; les taux d’emprunt habitat vont tout au mieux se stabiliser (3,07% en juin 2025 après 3,10% en mai et 3,07% en avril*) tandis que l’accès au crédit ne devrait pas s’élargir. Pour l’heure, la production de crédits bancaires sur le marché du neuf reste dynamique, progressant de +23,8% en niveau semestriel glissant à fin juin, mais ce niveau de production reste inférieur de 40% au niveau moyen des années 2016-2019…
L’activité des travaux publics, de son côté, fait encore preuve de résilience au mois de mai, soutenue par les dépenses des métropoles. Les travaux réalisés affichent une hausse de +1,6% par rapport à avril et de 2,4% par rapport à mai 2024 (données CVS-CJO). De janvier à mai, l’activité s’accroît ainsi de +2% sur un an. Si le niveau actuel des carnets semble assurer des chantiers pour les prochains mois, la FNTP pointe le risque d’un freinage de l’activité fin 2024-début 2025, en lien avec une baisse des prises de commandes que la fin du cycle électoral et les restrictions budgétaires vont accélérer.
Perspectives 2025 révisés
Compte tenu des éléments précédents et de l’évolution récente des derniers indicateurs, l’horizon pourrait s’assombrir au second semestre pour les matériaux. Dans ce contexte, la prévision des volumes d’activité a été revue à la baisse pour s’établir dans une fourchette de repli comprise entre -4% et -6% pour le BPE et entre 0% et -2% pour les granulats.
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