Utiliser des bâtiments inoccupés pour y installer des ateliers, des bureaux ou des personnes précaires le temps qu'un nouveau projet prenne forme n'a jamais été autant dans l'air du temps.
Héritier des mouvements contestataires des années 1970-1980 et des squats culturels, l'urbanisme transitoire résulte d'une volonté d'occuper des lieux en déshérence pour les redynamiser ou répondre à certains besoins sociaux non satisfaits, rappelle l'urbaniste Cécile Diguet.
Depuis quinze ans, la pratique s'est institutionnalisée, souvent à l'initiative de propriétaires publics, jusqu'à devenir un passage obligé des opérations d'urbanisme.
A Lyon, une quarantaine de projets sont en cours, dont "l'Etape 22D", qui s'étale sur 4 hectares dans l'ancien quartier des soieries, aux confins de Villeurbanne et Vaux-en-Velin, théâtre d'un lent processus de désindustrialisation.
"Quand on est arrivé en 2020, on s'est dit qu'il fallait accélérer sur l'urbanisme transitoire. Nous avons adopté un référentiel assorti de trois fonctions: économique, culturelle et d'hospitalité", retrace Renaud Payre, vice-président de la métropole chargé de l'habitat.
Rachetés 21,8 millions d'euros par la métropole en 2021, les six corps de bâtiments des anciennes usines Bobst et Thyssen ont été sécurisés et aménagés à hauteur de 1,9 million d'euros pour une occupation prévue jusqu'en 2027.
"Depuis la crise Covid, la crise de l'immobilier et la montée en puissance de la lutte contre l'étalement urbain, la question du réemploi des bâtiments et de l'intensification de leur usage est devenue le sujet numéro un en urbanisme", observe Julien Meyrignac, rédacteur en chef de la revue Urbanisme.
A L'Etape 22D, cela passe notamment par la création du tiers-lieu professionnel "Grand plateau" dédié au vélo, où cohabitent 37 petites entreprises de fabrication, assemblage ou reconditionnement de vélos.
"Positivement opportunistes"
"L'idée était de regrouper des acteurs économiques pour structurer une filière du vélo et des micro-mobilités", explique Anne-Gaëlle Clot, directrice de Grand plateau.
En prévision de la fin du bail, les loyers sont augmentés tous les dix-huit mois en vue d'un transfert dans l'immobilier privé.
Tout près, un bâtiment a également été aménagé pour aider des mères isolées avec enfants de moins de trois ans.
De grandes halles encore en attente d'occupants abritent également de premières entreprises spécialisées dans le réemploi, le tri d'encombrants, mais aussi l'entrepôt logistique des Restos du Coeur, des ateliers d'artistes et une coopérative funéraire.
"Ces acteurs ne trouvent pas leur place sur le marché de l'immobilier classique, beaucoup trop cher", souligne Gautier Le Bail, directeur technique de la coopérative Plateau urbain, créée en 2013 pour trouver des lieux d'occupation temporaire dans des bâtiments en fin de vie.
Reste qu'avec des locaux mal isolés et une facture d'électricité qui a explosé à 55.000 euros en 2023, L'Etape 22D montre aussi ses limites.
"L'objectif n'est pas de rentabiliser l'acquisition mais d'être positivement opportunistes dans un contexte de rareté foncière", assure Emmanuelle Sibué, directrice de projet à la métropole.
Longtemps l'apanage de l'Ile-de-France, où plus de 5,2 millions de mètres carrés de bureaux ne trouvaient pas preneurs en septembre, l'urbanisme transitoire a essaimé partout en France, même s'il reste moins développé que dans les pays anglo-saxons.
En cause notamment, estime Julien Meyrignac, une plus grande frilosité des acteurs privés face au risque, et une règlementation française plus stricte sur la sécurité.
"Il y a parfois aussi un flottement dans les intentions des acteurs publics, avec une absence de clarté sur les moyens à mobiliser et le projet final", souligne-t-il.
L'urbaniste Patrick Henry regrette de son côté que les différentes expériences d'urbanisme transitoire et d'occupations ne servent pas davantage à infléchir des projets finaux et à les transformer.
A l'étranger, beaucoup de projets d'urbanisme transitoire sont utilisés à l'inverse par le privé pour "créer une nouvelle dynamique urbaine et développer ensuite des programmes immobiliers qui auront toutes les chances de réussir parce qu'ils auront su créer une désirabilité", observe Julien Meyrignac.